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proclamation aux habitans, où il leur dit « de ne point interrompre leurs travaux… » « Bien loin que le peuple soit l’objet de ses expéditions, lui, Mandrin, prend diligemment ses intérêts. »

Poursuivi comme il l’était, Mandrin comprit que les ballots de marchandises, qu’il traînait avec lui, devenaient pour sa troupe de fâcheux impedimenta. L’entreposeur de Seurre lui inspira confiance et puisqu’il gardait en dépôt le tabac des fermiers généraux, Mandrin le pria de vouloir bien également recevoir en dépôt son tabac de contrebande, dont il s’empressa de lui laisser dans ses magasins tout son chargement, soit 146 ballots. L’allure de ses hommes en sera allégée, et, dans les villes où il va passer, il donnera des « bons » à valoir sur le tabac mis entre les mains de l’entreposeur de Seurre qui aura la charge de le délivrer. Et voici donc que Mandrin, pour faire face aux circonstances nouvelles devant lesquelles on l’a placé, non seulement vend son tabac aux fermiers généraux, ses adversaires, mais fait de ces fermiers généraux les entreposeurs de son propre tabac. Nouvelle manière de faire ses affaires, très pratique, et qui remédiait à l’embarras où le mettaient ces maudits chasseurs à cheval et ces compagnies d’argoulets que le gouvernement avait lâchés à sa poursuite.

Restait la visite coutumière aux prisons de la ville. La scène est décrite précisément dans une lettre de M. Raudas, contrôleur des Fermes à Seurre.

Le geôlier fait comparaître les détenus devant Mandrin :

« — Pourquoi es-tu en prison ?

« — Monsieur, pour sel.

« — Sors. Et toi ?

« — Monsieur, pour dettes.

« — Sors ! »

Tous les prisonniers furent ainsi élargis, « en sorte que la prison est demeurée vide : » sentences dont quelques-unes furent peut-être d’une indulgence un peu précipitée, mais les Fischer arrivaient, brûlant les étapes. Notre contrebandier ne pouvait plus, comme à Roanne, mettre du temps à des délibérations approfondies avec le brigadier de la gendarmerie.

Les Mandrins quittèrent Seurre entre minuit et une heure. Ils furent coucher à Corberon, où ils passèrent la nuit du 17 au 18 décembre. Ils marchaient sur Beaune. Les Beaunois avaient beaucoup ri de la frayeur manifestée