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des journées de permission qu’un chef de corps peut accorder à chaque homme. On enlevait au commandement son plus puissant levier, en France du moins, la récompense ; on ne lui laissait que le droit de punir. Tout cela paraissant encore insuffisant, un décret récent sur les honneurs et préséances enlève à nos chefs le dernier prestige qui leur était laissé. Les préséances sont pourtant le moyen le plus économique de payer les services d’hommes dévoués, plus sensibles à l’honneur qu’à l’argent. Ce décret est une véritable humiliation pour l’armée. Enfin nos officiers n’ont même plus les garanties que les fonctionnaires les plus infimes ont exigées et obtenues : des officiers ont été mis à la retraite d’office et, tout récemment encore, un colonel, sans qu’ils aient été entendus par leurs chefs, sans qu’ils aient pu se défendre, sans même qu’ils aient eu connaissance des motifs d’une décision qui brise leur carrière. Et l’on vient parler de justice, de garanties, de dignité humaine, lorsqu’il s’agit de mauvais sujets traduits en conseil de guerre !

Ayant profondément atteint l’armée en frappant à la tête, il fallait aussi la saper par le bas, par l’indiscipline. Conformément aux prescriptions du décret du 2 mai 1902, « lorsque les hommes des sections de fusiliers de discipline ont donné des preuves certaines d’amendement, ils sont admis dans un corps de troupe de leur arme d’origine. » L’effet de cette mesure se fit bientôt sentir : les disciplinaires réintégrés devinrent dans les régimens de véritables foyers d’infection et de contagion et détournèrent de leurs devoirs un grand nombre de jeunes gens faibles. Pourquoi prit-on cette mesure déplorable ? « L’opinion publique et le Parlement réclament avec instance que le courant d’humanité que traverse notre législation pénale s’étende aux militaires des compagnies de discipline. » Cette sensiblerie a pour effet la contamination d’un grand nombre de braves gens qui fussent restés sains hors du contact des pervertis. Voilà où conduit cette phraséologie soi-disant humanitaire, contraire à tout esprit de justice et de prudence sociale. Quelque temps après, une circulaire du 31 août 1903 prescrivait aux chefs de corps de « s’efforcer d’obtenir la discipline volontaire. » Voilà le grand mot lâché officiellement. Depuis lors, les chefs de corps n’osent plus sévir, et l’esprit de discipline fond peu à peu comme neige au soleil, d’autant plus que toutes les fois qu’un fait grave se produit, le ministre donne tort aux chefs. Il ne faut pas s’étonner si, la