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unique dans l’histoire littéraire de Pascal. Tous ses autres écrits, même ceux qui furent longtemps perdus, comme son Abrégé de la Vie de Jésus-Christ, par exemple, nous sont signalés par l’un de ceux qui s’intéressaient à sa gloire, ou à son œuvre. Le Discours seul fait exception. Si c’est un pur hasard, voilà un hasard bien malencontreux.

Autre coïncidence un peu gênante. Le Discours est seul de son espèce dans l’œuvre tout entière de Pascal. Si épurée qu’en soit l’inspiration, ces quelques pages forment un curieux contraste, je ne dis même pas avec les traités scientifiques du grand écrivain, ou avec le Mystère de Jésus, mais avec les plus spirituelles des Provinciales et les plus « mondaines » des Pensées. Qu’il y ait dans l’œuvre de Stendhal, ou dans celle de Senancour, ou dans celle de Michelet, un traité de l’Amour, nous n’en sommes point étonnés. Mais dans celle de Pascal ! S’il est vrai, suivant le mot du poète, que


Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes,


— précèdent, ou suivent, — nous sommes un peu surpris que Pascal, ayant d’ailleurs si bien réussi, n’ait point récidivé, et qu’il n’ait pas, dans sa vie, d’autre « péché de jeunesse. »

Et assurément, tout est possible, et, comme l’a dit un autre poète,


Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.


Seulement, dans ce cas, le vrai, pour s’imposer à l’esprit, doit présenter des titres doublement éprouvés. Et ceux du Discours à la créance des lecteurs de Pascal doivent être vérifiés de fort près.

Cousin, lui, avait vite fait de trancher la question. « Ce n’est point une simple conjecture de mon esprit, déclarait-il superbement. D’autres avant moi, au XVIIe siècle, des gens liés avec Port-Royal, qui connaissaient Pascal et sa famille, les bénédictins, lui ont attribué ce fragment… » Et il concluait : « Je ne veux point pousser plus loin la démonstration ; le fragment est donc bien de Pascal. On le croyait à Saint-Germain, l’ouvrage lui-même le prouve ; ce n’est point une supposition vraisemblable, c’est un fait indubitable. »

Ce n’est même pas une supposition vraisemblable. L’opinion des bénédictins de Saint-Germain-des-Prés nous échappe absolument, et Cousin s’en serait bien aperçu, s’il avait étudié d’un