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cause de sa violence. Un simple moraliste aurait dit tout simplement : « L’inconstance est l’injustice du cœur. » — Voilà qui est fort joliment dit, et l’on voudrait que M. Faguet eût pleinement raison. Mais quoi ! si on lui disait que le mot prouve tout simplement la délicatesse morale de l’auteur du Discours, rien de plus, et rien de moins, je ne vois pas bien ce qu’il pourrait répondre[1]. On en est réduit, on le voit, dans des discussions de ce genre, à entre-choquer des impressions toutes subjectives, et qui, à notre insu, sont toujours déterminées par l’idée a priori, — ou peu s’en faut, — que nous nous formons, d’après les textes, sans doute, mais surtout d’après la psychologie et d’après l’histoire, de Pascal amoureux ou non amoureux.

M. Faguet, il est vrai, et il est de toute loyauté de le reconnaître, M. Faguet a un texte assez important pour lui. C’est celui-ci : « Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvemens de l’amour de leurs héros : il faudrait qu’ils fussent héros eux-mêmes. » — « Si Pascal, écrit à ce propos M. Faguet, si Pascal avait voulu nous dire formellement : Dans cet écrit, je parle de moi, il ne l’aurait pas dit d’autre sorte. Il vient de s’apercevoir qu’il analyse l’amour et un certain amour et qu’il en décrit les mouvemens avec une précision qu’il n’a trouvée dans aucun auteur, et il se dit : Ce n’est pas merveille. Il aurait fallu qu’ils fussent auteurs et héros. Moi, je suis précisément le héros de mon livre. » — Il faut en convenir, le mot peut parfaitement s’interpréter ainsi. Mais ne saurait-il s’interpréter tout autrement[2] ? Supposons l’auteur du Discours non amoureux : ses analyses des « passions de l’amour, » si fines et si délicates qu’elles soient, sont loin de le satisfaire pleinement ; il cherche la raison de cette insuffisance verbale ; il la trouve dans le fait même qu’il n’est point amoureux, et il l’exprime de la façon que voici : « Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouvemens de

  1. Sans compter que le mot monstrueux n’a peut-être pas ici le sens « violent » et exclusivement moral que nous lui donnons de nos jours. Il signifie souvent, au XVIIE siècle, étonnant, stupéfiant, choquant pour la raison. Cf. Bossuet : « Les Juifs, peuple monstrueux, qui n’a ni feu, ni lieu, sans pays et de tous pays. » (Sermon sur la bonté et la rigueur de Dieu) : — Pascal : « C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les grandes. » (Pensées, édition Brunschvicg, III, 194).
  2. Je n’abuserai pas contre M. Faguet du fait que le texte de cette phrase n’est pas très bien établi, et ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, j’admets très volontiers que le texte courant, suivi par M. Faguet, soit le meilleur.