l’amour de leurs héros ; il faudrait qu’ils fussent héros eux-mêmes. » Cette interprétation est-elle par hasard trop subtile ? En voici une autre plus naturelle, j’en conviens. L’auteur du Discours n’est pas amoureux ; mais il se fait une haute idée de l’amour et du langage de l’amour ; il a lu les romans contemporains, le Grand Cyrus, la Clélie[1], — car notez que, dans son texte, il paraît bien s’agir de personnages fictifs et d’écrivains d’imagination ; — il a été écœuré des propos de fade galanterie qui s’y trouvent échangés, et il en juge comme feront bientôt Molière et Boileau, — Boileau qui semble n’avoir jamais été amoureux lui non plus, et qui eût fort bien signé la pensée ci-dessus, puisqu’il l’a, à la lettre, mise en vers :
- C’est peu d’être poète, il faut être amoureux.
En vérité, cette interprétation est aussi naturelle, et peut-être plus conforme au texte que celle de M. Faguet ; et je ne vois pas qu’on ait des raisons péremptoires de lui préférer cette dernière.
Aussi bien, n’y a-t-il pas, dans le Discours même, certains passages qui semblent aller directement contre les conjectures et les commentaires de M. Faguet ? En voici un, que M. G. Michaut a relevé très justement dans son édition : « Nous connaissons l’esprit des hommes, et par conséquent leurs passions, par la comparaison que nous faisons de nous-mêmes avec les autres. Je suis de l’avis de celui qui disait que dans l’amour on oubliait sa fortune, ses parens et ses amis : les grandes amitiés vont jusque-là. » — « Si Pascal, dit à ce propos M. G. Michaut, si Pascal applique ici la méthode d’investigation psychologique qu’il vient de formuler, sa phrase ne signifie-t-elle pas qu’il en juge de l’amour par l’amitié, et, par conséquent, qu’il trouve bien en lui l’amitié, mais non l’amour ? » Il me parait difficile, je l’avoue, d’interpréter autrement ce passage ; et, sans affirmer qu’un amoureux n’a jamais pu l’écrire, — car qu’en savons-nous ? — j’y verrais bien plutôt l’aveu d’une « grande amitié » que la confidence d’un véritable amour.
D’une manière toute générale d’ailleurs, je ne vois pas, même dans les passages les plus personnels, en apparence, du
- ↑ J’emprunte ces exemples et l’idée de cette interprétation à une note de l’excellente édition de M. G. Michaut.