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d’entrepreneurs à la surenchère. Le suffrage universel inorganisé, atomique, anarchique, accaparé par des faiseurs, livré aux tentations de l’argent et aux séductions du pouvoir, corruptible et corrupteur, n’est ni vraiment universel, ni vraiment un suffrage. Son éducation n’est ni faite, ni peut-être faisable, en dépit de l’apothéose stupide que nous décernons à l’instituteur primaire. — Ce n’est pas encore, à ne nous point flatter, la presse qui la fera, si même elle n’exerce parfois une influence « sinistre, » pour employer l’épithète chère à Bentham. — Ce ne sont pas non plus les associations et les ligues, qui n’en ont pas souci. — Ce ne sont pas davantage « les autorités sociales, » parce qu’il n’y a plus d’« autorités sociales. » Le peuple, politiquement paresseux et passif, endormi dans la routine, ignore son mal, ou feint de l’ignorer, ou le nie, ou le déclare incurable et a l’air d’en prendre son parti. Mais à toute heure s’affirme l’impossibilité de vivre et de durer ainsi.

2o Le parlementarisme. — Du suffrage universel inorganique, anarchique, naissent, avec la fraude et la corruption, qui vont dans quelques cas jusqu’à faire ressembler une élection à une sorte de brigandage public, l’indifférence et le dédain ; l’intérêt général est déserté, les intérêts privés se ruent à l’assaut du Trésor ; des coteries faméliques ou rapaces mènent cyniquement la curée de l’État ; la politique s’abaisse par l’abaissement de niveau du personnel politique, et, par l’abaissement de la politique, la nation s’affaisse peu à peu parmi les nations. « Cela s’en va ! » est-on tenté de dire en France comme en Espagne. Les signes en sont si clairs que les parlementaires eux-mêmes sont obligés de les voir : tous ces signes, convulsions des Chambres, silence du pays, atonie de l’opinion, présagent la faillite, la banqueroute d’un parlementarisme faussé, adultéré, sophistiqué ; d’un parlementarisme si « truqué » qu’il en est tout artificiel, si vieilli qu’il en est caduc, si décharné qu’il en est falot et spectral. — En attendant, il ne nous donne et ne peut nous donner qu’une législation impulsive et décousue, qu’un gouvernement précaire et subordonné, qu’un État incertain, chancelant, à chaque instant menacé de bouleversement ; il est également incapable de fonder une démocratie et de ne pas fonder une démagogie.

L’atmosphère où il vit est une atmosphère confinée ; il s’y débat sans s’aviser qu’il a coupé ses communications avec le pays ; il s’y embourbe dans la logomachie et dans le commérage.