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tombée, hommes et femmes reviennent aux cases, mais trop excités pour dormir, dansent jusqu’à l’aurore des segas qui piétinent le sol. Sous la cadence du tambour, les notes grêles de la valiha et les ritournelles des flûtes de bambou ensorcellent les évolutions saccadées des corps qu’illuminent par spasmes les lueurs des vastes incendies. Car toutes les collines rondes des environs, embrasées aussi par rangs d’amphithéâtre, ont été mises en feu pour que les pluies emportent dans les rizières, au bas, la cendre féconde des arbustes et des herbes ligneuses. Avec adoration le Malgache regarde brûler son pays dans la nuit et, friand de synthèse ingénieuse dans ses proverbes, se demande « comment ne pas aimer le riz d’une façon exclusive, puisque le feu et l’eau, ces deux bienfaits du monde, concourent à sa formation. »

On ne plante pas la première herbe avant que « la caille-esprit » n’ait fait entendre son premier cri. Le moment est venu d’adresser une invocation à l’Angatra, esprit tutélaire qui veille de haut sur les escaliers des rizières. Après avoir aspergé un bœuf, — force animale du sol, — avec de l’eau, — force fluide et féconde du firmament, — toutes deux utiles à la culture de la céréale, on en découpe la gorge pour la partager entre tous ceux qui doivent planter le riz. Les femmes dans leurs lambas clairs, se déplaçant insensiblement, fines de loin comme des ibis blancs dans ces paysages de Nil madécasse, viennent piquer les plants apportés d’une pépinière. Courbées, presque assises sur leurs talons et moulées dans leur pagne, le visage bossue et silencieux, la chevelure tressée en petites mottes, elles s’avancent avec une extraordinaire prestesse des mains à piquer les tiges : c’est une œuvre de rapidité magique, une manière de semaille de sorts confiés au sol avec des passes de doigts indiscernables… La terre des rizières reste abandonnée durant cinq mois à l’inondation.

L’esprit de l’homme est désormais tout à l’eau : devenu fontainier, il mesure son irrigation, attentif à ce que, tombant en cascade de gradin en gradin, elle baigne également chaque plate-bande, — c’est encore œuvre de juste répartition, — et mouille le brin sans jamais en recouvrir la tête. Assis à croppetons sur les rocs, l’oreille engourdie mélodieusement par le froissement d’herbes et par le ruissellement des eaux descendantes, il surveille ces amphithéâtres liquides où il voit le bleu du ciel se moucheter de filamens verts, se rétrécir et peu à peu