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s’effacer, tandis que les nappes de riz qui, presque bleues en naissant, verdissent en évoluant vers le jaune, reprennent l’aspect de champ de la terre sur quoi, seuls, les frissons de la brise promènent des souvenirs frémissans d’eau. Avec quelle attention superstitieuse doit-il alors protéger la plante ! La terreur du cultivateur a créé l’idole Rakélimanjaka-lanitra, réputée capable de convertir la grôle en pluie : elle avait tout récemment encore ses prêtres et ses fidèles à qui s’imposaient certaines interdictions spéciales. Ces grands champs où pousse en brins pressés la plante nourricière, l’unique, la bien-aimée, sont respectés avec mystère et sacrés comme la vie ; il importe de les protéger toujours de tout contact de mort ; chez les Betsiléos, aucune procession funéraire, qu’il s’agisse de nobles ou de roturiers, ne peut suivre les remblais qui séparent les rizières, même en jachère.

En mars le riz mûrit. La joie des hommes éparpillés le long les barrages de boue se module en chansons. Maintenant que les dangers sont écartés, on se plaisante sans crainte. Que l’un crie : « Rainimana, prends garde à ton riz. Les chenilles sont au village de Mahajary et les sauterelles passent le Mangoro. Le Mangoro, tu le sais, est un fleuve profond. Ses eaux rougeâtres et sales te rendent cependant net de toute souillure quand tu l’as traversé à la nage ! » un autre d’un étage inférieur et qu’on ne voit pas, répond : « Le crocodile meurt près du sable et les sauterelles près des herbes… » Et soudain tout un chœur intervient pour conclure : « N’allons pas plus loin, reposons-nous ; le temps ne nous manque pas. » Ainsi, sur les gradins où les cultivateurs sont distribués comme des personnages en scène, dans l’allégresse de se voir échelonnés en étages, d’être haut sous le ciel, devenus « ambaniandres » par le travail, apparaissent les formes dialoguées du théâtre, alternant avec des refrains légers. Pour les griser plus encore, il monte de la boue des rizières, toutes fermentées des dernières ondées qu’évapore un soleil orageux, de tièdes effluves de fièvre. C’est là que se contracte le ramanenjana, ce pernicieux délire qui entraîne les hommes en une danse tournoyante et oscillante : jusqu’à la mort ils épuisent leurs forces à s’accorder au rythme d’une musique qu’ils sont seuls à entendre, comme enivrés jusqu’à la folie par la richesse capiteuse de la terre, trop forte à respirer aux narines humaines.

Moissonnés avec un couteau grossier, les épis sont portés sur une aire de terre battue. C’est le second acte de la représentation