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Dans le village, le riz a sa case montée sur de hauts pilotis, et placée au centre du village. La vie indigène tourne autour de lui. Quand le soleil verdissant de cinq heures du soir fait briller avec des tons d’or massif le chaume épais du grenier à riz tissé comme un nid, il est beau de voir les femmes sortir en même temps des paillottes et venir s’assembler en demi-cercle afin de piler le riz. Elles se mettent deux par deux ; l’une en face de l’autre, leurs mains rapprochées sur le calaou haut, elles l’élèvent et le font retomber, cambrées et droites, laissant à peine s’incliner leurs épaules arrondies et sans regarder à leurs pieds serrés l’un près de l’autre. Piler le riz est l’exercice journalier de la vie malgache qui, tirant la femme de ses positions allongées ou accroupies dans l’ombre de la case, la dresse à la lumière et, en établissant un rythme puissant dans ses muscles que moulent les plis d’une rabane assouplie, lui donne une consistance de statue. Silencieuses à accorder la cadence sourde des coups de calaou dans le mortier de bois, ne s’exprimant au dehors que par le rythme du même geste, elles prennent à leur besogne ménagère un grand caractère de noblesse. La danse, brisant le corps en palpitations de mains, en oscillations de hanches et en rampement des reins, ne traduit par son excessive mobilité que les convulsions nerveuses et passagères de la vie.

De cette industrie si naturellement théâtrale, distribuée en spectacles divers suivant l’ordonnance des saisons, le dernier acte est le marché au riz. Les planteurs, sous des chapeaux de paille boucanée, sont assis sur de lourds sacs gonflés dont la paille est encore verte : ils regardent de dessous leurs paupières plissées venir les acheteurs en gros qui arrivent de Tananarive. Longs dans les lambas blancs, ils se promènent de sac en sac, s’arrêtant pour prendre du riz dans une de leurs mains où brille l’argent d’une bague indienne et la faisant s’écouler dans l’autre, afin de juger de sa transparence au soleil comme les Arabes font des pierres précieuses, experts tels que des joailliers en riz. Aussi bien il y a le grain de riz blanc laiteux comme une perle, le grain de riz à orient de nacre, le grain mat et doré comme de l’ambre, le grain presque aussi rosé que le rubis. Qui est habitué aux marchés malgaches où la moindre affaire ne se conclut que dans des kabarys sonores et après d’interminables allées et venues, est frappé et un peu égaré ici de ce qu’on entende à peine parler : c’est un murmure de mots menus qui convient