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du travail : chorégraphique. Les femmes aux pieds desquelles sont déposées les gerbes, vont, viennent d’un pas qui glisse de lui-même à la danse, se croisent, se tressent dans un emmêlement musical de jambes et de bras et sur un insensible mouvement de la plante des pieds décortiquant des doigts les grains et les fanant sur le sol. Celles-là mêmes qui avaient piqué des mains l’herbe de riz, écossent des pieds les épis : arabesque rejointe du travail que dessinent les chaînes sans fin de leurs évolutions. La nécessité de fouler également tout l’espace recouvert et une souplesse instinctive à multiplier et à diversifier les poses, font qu’elles varient innombrablement, dans le quadrilatère du même enclos, les figures linéaires de la danse du riz.

Pour la moisson il faut que tous les hommes soient réunis afin d’allier leurs efforts : les mesures ont été prises pour que personne ne s’y dérobe. Tel, le riz dont l’ensemencement et la récolte groupent les familles, créa le sentiment national. Entre tous, les Mérina le savent bien : c’est une immense rizière d’un seul tenant, qui, en permettant l’agglomération sur un même point d’une population très dense, a superposé Tananarive dans la plaine et élevé la supériorité de leur race au centre de Madagascar. Et le Roi qui reste vénéré de tous, Andriana, pour avoir étendu en réseau sur toute l’île la suprématie hova, fut celui-là même qui, disant : « la rizière et moi ne faisons qu’un, » développa avec une méthode militaire les travaux de rizière. On peut dire que le riz fit l’unité malgache.

Avant la conquête, au commencement de l’année, les Malgaches, selon une coutume ancestrale, fêtaient le riz en une grande cérémonie qui réunissait à Tananarive, confondus en petits grains blancs pullulant au : creux de ses places rondes comme des vans, les hommes des provinces les plus diverses. C’était le Fandroana que l’allumage des feux, peut-être symboliques des incendies destinés à enrichir de cendre la bouc des vallées, l’imposition du riz nouveau, les couronnemens de feuillages et de fleurs « font ranger parmi les fêtes agraires destinées à redonner une nouvelle puissance à la végétation et à assurer les récoltes et la vie des hommes » (V. Gennep). Là s’exprimait socialement en rites décoratifs la reconnaissance malgache à cette graminée qui, « étant l’aliment non seulement nécessaire, » mais presque unique « soutien de la vie, » est divine, est Dieu lui-même selon l’expression indigène.