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pour l’attaque. Celle-ci présentait de grandes difficultés. Les Mandrins occupaient les maisons du village, et le lieu avait été habilement choisi pour une défense armée. La droite en était inabordable, protégée qu’elle était par un bastion que fournissait la nature, un mamelon gazonné. Fischer, qui le vit couvert de neige, écrit que c’est un rocher. La gauche, où s’étalaient les maisons, était coupée de courtils clos de palissades. Celles-ci étaient formées par des pieux plantés à la distance respective d’une aune, et dont la « remplissure » était faite de bois d’épine. Puis des vergers où croissaient des poiriers, des châtaigniers, des noyers séculaires, entourés de haies d’épine et de mûriers, et des chemins creux bordés de buissons. Enfin chaque maison, basse, aux murs épais, sans autre ouverture qu’une porte flanquée d’une unique fenêtre, était d’une facile défense. Sur le derrière, des halles où les contrebandiers avaient attaché leurs chevaux à la longe. Pour entrer dans le village, une seule route, dont nos compagnons étaient les maîtres. Mandrin l’avait rapidement hérissée de barricades, formées de chariots et de charrettes entremêlés de brassées de branches d’épine, et il y avait mis sur affût quatre pièces de campagne à la biscaïenne. Fischer avait sous ses ordres, outre ses chasseurs, quarante dragons du régiment de Bauffremont, deux compagnies de grenadiers suisses du régiment de Courten et des cavaliers de la maréchaussée commandés par le lieutenant Balot. Il commença par détacher ses chasseurs, soutenus par les dragons de Bauffremont, pour couper la retraite aux contrebandiers ; mais déjà Mandrin, avec une hardiesse inouïe, avait commencé l’attaque.

Jamais sa valeur guerrière n’apparut avec plus d’éclat que dans cette affaire de Gueunand. Il avait immédiatement reconnu l’impossibilité de triompher de ces troupes nombreuses, disposant des meilleures armes, commandées par un chef expérimenté. Il n’avait avec lui que 90 hommes, parmi lesquels il en choisit 18 des plus résolus. A la tête de cette poignée de braves, il tint tête aux soldats de Fischer, tandis que ses camarades battaient en retraite, à travers les vignes, les halliers et les chemins creux. Dans le débraillé de la surprise matinale, sans chapeaux ni vestes, en manches de chemises, tout en se retirant, ils ne cessaient de tirer, « pareils à des sangliers, écrit le correspondant de la Gazette de Hollande, pareils à des sangliers furieux qui font respecter leurs défenses aux chasseurs dont ils sont