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princiers enlevés au vol des bourjanes, des convois immenses d’hommes portant en balanciers des fardeaux de meubles, de tentures, de toilettes royales, les paquets de provisions, les attirails de la cour. Un orchestre de tambours, de flûtes, de violons, de grosses caisses joue tout le long du voyage à assourdir l’espace. Au-devant du palanquin doré où trône la Reine, en robe jaune, sous un parasol écarlate, des paysans, groupés depuis plusieurs jours pour attendre son passage, présentent les cadeaux de visite, des ballots de riz, des troupeaux de bœufs et de moutons, des paniers de volaille. Tout le Betsiléo, fertile en riz, fécond en bétail, ouvre à l’autorité hova, passivement, ses grandioses vallées écharpées de rizières rayées. Laborde voit se dérouler devant lui la richesse de cette terre que l’effort conscient de toute sa vie rêva de donner à la France. Il ne reste pas à Fianarantsoa où campe la troupe royale : il fait des excursions, il explore le Sud des hauts plateaux qu’il ne connaît point. C’était un de ces tempéramens français, d’imagination toute cordiale, de sensibilité constructrice, qui portent constamment en soi la poésie à la fois idyllique et inventive de la civilisation : il ne pouvait découvrir un paysage sans en goûter la beauté économique : il en scrutait promptement les ressources naturelles ; et la contemplation d’une terre vierge qu’il pressentait féconde, suscitait aussitôt en ce cerveau des visions animées d’une colonisation industrielle. Il finit même par convertir la Reine au catholicisme, ce qui était une victoire française sur l’action méthodiste au moment où elle prévalait à Madagascar. Malade, la Reine le manda à Ambohimanga ; comme il ne pouvait pénétrer dans la ville sacrée, ce fut elle qui vint au-devant de lui afin que, sur la route, de l’eau d’une source malgache et de ses mains d’ouvrier français, il la baptisât chrétienne.

Pour cet homme qui, représentant à lui seul la France devant l’ignorance malgache et devant la concurrence sans scrupule des Anglais, s’était ingénié pendant plus de trente ans à faire constamment prédominer l’idée française dans l’esprit indigène, si impressionnable et changeant, on ressent ce que fut le désastre de 1870. Il quitta Tananarive où l’influence anglaise, pour longtemps, allait triompher incontestée et se retira sur les ruines de Mantasoa. C’était un vieillard colossal : un front large et bombé où se condense la rudesse au travail, les sourcils droits et un peu durs où se fronce l’effort autoritaire sur des yeux fins qui voient