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courageusement payé de leur personne. Ils s’étaient engagés, fiers de leur titre neuf de Français, pour porter d’un rapide élan le drapeau jusqu’à Tananarive, et on les a parqués à piétiner dans les postes, les plus insalubres pour des services qui les humiliaient. C’est à d’autres, à ceux de Saint-Pierre et de Saint-Joseph, population vive, nerveuse, hardie, que, selon le général Galliéni, on doit d’avoir remonté la flotte de cabotage.

Les blancs et les mulâtres furent un appoint plus sérieux encore. Ce n’est pas qu’ils soient sans défauts : légers, têtus, brouillons, souvent ingrats, impénitens et incapables de reconnaître leurs torts, — par un travers français accentué aux colonies, — téméraires, présomptueux, « n’ignorant de rien, » inaccoutumés à la franchise sans avoir la rondeur du mensonge des Européens rustauds, voilà pour l’ensemble, d’où se distinguent d’ailleurs tant de jeunes gens d’une vieille éducation sévère, francs jusqu’à l’impertinence, fermes, discrets et distingués, et surtout des femmes qu’aucun malheur ne décourage et qui soutiennent souvent des familles entières, mettant à cette vie de devoir et de sacrifice une sorte de passion amoureuse. Tous sont profondément patriotes jusqu’à en être provocans pour les Européens dont le sens national s’est amolli. Ils ont au plus haut point le goût de la famille et la fierté de la fécondité. Sans avoir grand fond de santé, ils ont une force nerveuse de résistance, courageux et même gaillards dans la misère, hospitaliers et volontiers partageux. Ils acceptent tous les petits postes, les emplois fatigans, et, dans les compagnies et sociétés privées, arrivent souvent très vite aux directions des agences. Bien qu’ils n’aient jamais été encouragés officiellement, ils ont contribué plus que tout le reste de la France et de son empire à peupler Madagascar : contre 3 535 natifs de la métropole et des autres colonies, il y avait au dernier recensement 3 878 créoles de la Réunion. Le général Galliéni, qu’ils accusent d’avoir été sans tendresse pour eux, a déclaré lui-même, dans son dernier rapport, que « l’île voisine avait contribué dans une grande mesure à la diffusion de l’influence nationale dans la Grande Ile. »

Au point de vue où nous nous plaçons maintenant, envisageons leur souplesse à s’adapter au pays et à s’y attacher comme à leur foyer définitif, avec un sentiment souvent inconscient, mais toujours profond et tenace de leur mission d’expansion française à remplir, leur alerte vitalité, leur gaieté presque