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Se retirant devant des troupes nombreuses, qui le poursuivaient et auxquelles arrivaient d’heure en heure de nouveaux renforts, Mandrin fit dix-sept lieues dans la journée qui suivit le combat de Gueunand, mettant derrière lui l’Arroux, la Loire et la Bèbre. Dans cette course folle, il emportait ses compagnons blessés, chargés comme des ballots sur des chevaux de bât. On aurait pu le suivre à la trace, « le chemin par lequel il s’est retiré étant marqué de sang. » Il passa la Loire le 20 décembre, jour du combat, sur les six heures et demie du soir. On se fera une idée de la rapidité de sa marche, en songeant que, dans le même temps, les chasseurs de Fischer, qui le poursuivaient, ne firent que quatre lieues.

Bien qu’il fût sorti à son honneur du combat de Gueunand, Mandrin y avait moralement reçu un choc terrible. Les relations contemporaines notent sa tristesse durant les jours qui suivent : Lui, si gai, est devenu morne, sombre ; lui, si expansif, est devenu silencieux. Il se tient à l’écart de ses compagnons. En sa pensée simple, sans connaissance des conditions de son temps, sans lectures qui auraient pu lui apprendre les détails de la société où il vivait, — il croyait n’avoir fait que partir en guerre contre une compagnie de financiers qui exploitaient sa patrie, — puisque ce dernier mot revient sur ses lèvres. Gueunand est le rude coup qui le réveille en lui montrant la réalité. Réveil douloureux. La réalité, il ne la soupçonnait pas : son élan en fut brisé.

Son rêve de voir ses forces grandir par la puissance même de la cause qu’il défend, est détruit. Détruite aussi l’illusion qu’il avait conservée et qui faisait son prestige aux yeux du peuple, qu’il ne se battait que contre les troupes de la Ferme et que le Roi ne lui était pas hostile. A Gueunand, il a lutté en bataille rangée contre son souverain. Nous allons voir des gens du peuple refuser de l’accompagner pour lui montrer la route, ce qui n’était jamais arrivé.

Mandrin commence à comprendre qu’il n’est pas sur le chemin menant à la gloire, à l’affranchissement d’un peuple, qu’il avait rêvé. Sa nature grossière et rude, portée aux enthousiasmes et aux exaltations excessives, retombe lourdement sur elle-même. Dans les premiers jours qui suivent ce coup brutal, c’est une tragique dépression. Spectacle dramatique, que l’effondrement de ce caractère si solidement bâti. Pour la première