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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/91

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fois dans sa vie, il se désespère. Or nul moins que lui n’était fait pour le désespoir. Lui qui, jusqu’alors, était toujours demeuré sobre durant ces campagnes où toutes les responsabilités étaient dans sa main, lui que nous avons vu hésiter à prendre un verre de bourgogne, afin de conserver la clarté de sa pensée, s’enivre durant les jours qui suivent le combat de Gueunand. Sa peine est trop brutale et la nature rudimentaire qu’est la sienne ne trouve à l’adoucir que dans l’ivresse brutale du vin. Ses compagnons doivent l’emporter hissé sur un cheval. L’ivresse du grand révolté est, dans ce moment, poignante. En son âme rude et primitive, seules les fumées du vin peuvent venir prendre la place du rêve évanoui.

Après l’affaire de Gueunand, les forces de Mandrin se trouvent réduites à une cinquantaine d’hommes. Il n’en continue pas moins à répandre la terreur. Ceux qui ont mission de le poursuivre s’affolent. Les villes de toute la région, jusqu’à Dijon, jusqu’à Strasbourg, continuent à tenir leurs portes fermées, les gardes veillant sur les remparts.

Mandrin passa l’Arroux à La Boulaye et la Loire à Saint-Aubin. Il arriva à Saint-Aubin, le 21 décembre, sur les quatre heures du matin. Le même jour, il traversa Dompierre-sur-Bèbre, où il enleva à quatre cavaliers de la maréchaussée leurs chevaux, leurs armes et tout leur fourniment. Ses compagnons, exaspérés par le combat de Gueunand, voulaient massacrer les gendarmes. Mandrin s’y opposa. Il en repartit à deux heures du soir. Il était à Vaumas vers sept heures et alla coucher à Servilly.

Le 23 décembre, à Saint-Clément, les contrebandiers assassinèrent un meunier et sa femme qui refusaient de leur désigner les maisons où ils croyaient devoir trouver des employés des Fermes, et aussi de leur servir de guides jusqu’à Saint-Priest-la-Prugne, où ils arrivèrent le même jour. Mandrin était également déprimé par ses blessures. Durant les journées qui suivirent Gueunand, c’est son lieutenant Bertier qui eut en réalité la direction de l’expédition. Par-là s’expliquent ces excès.

Les compagnons allèrent ainsi jusqu’à Marsac. Un témoin oculaire montre Mandrin faisant son entrée dans la ville, à la tête de la bande, sur un cheval gris pommelé. Il était drapé dans un manteau écarlate. On obligea un riche industriel de la ville, M. Dupuy de la Grand’Rive, fabricant de papier, à fournir