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romancier allemand, pour adapter aux principes et aux coutumes littéraires des autres pays un genre qui, trop longtemps, a jalousement vécu de sa vie propre, et ne s’est nourri que de son propre fonds ?

Cependant M. Frenssen, après le demi-échec de cet Hilligenlei, ne s’est point découragé dans son zèle révolutionnaire : car son dernier livre nous le fait voir tâchant, de nouveau, à changer aussi bien la forme du roman que son contenu. Ce dernier livre s’appelle : La Campagne de Peter Moor dans le Sud-Ouest[1] ; et l’auteur le dédie « à la mémoire de la jeunesse allemande qui a succombé dans l’Afrique du Sud-Ouest. » Peter Moor, lui, a eu la chance de revenir vivant de cette meurtrière campagne ; et voici comment il s’est trouvé amené à nous la raconter : « Le jour même de mon arrivée à Hambourg, nous dit-il à la dernière page de son récit, comme je me promenais sur le quai, dans mon uniforme de là-bas tout usé et tout sali, un homme d’âge moyen m’a abordé, et, marchant près de moi, s’est mis à me poser diverses questions. Au cours de l’entretien, j’ai découvert que c’était un homme dont j’avais souvent entendu parler chez nous, car mon père et lui s’étaient connus depuis leur enfance. Aussi lui ai-je rapporté en détail tout ce que j’avais vu, et tout ce qui m’était arrivé, et toutes les réflexions que ces événemens m’avaient suggérées ; et c’est lui qui, de tout cela, a fait le livre que l’on vient de lire. »

Peter Moor est un jeune paysan du Schleswig allemand, un compatriote de Jœrn Uhl et des personnages d’Hilligenlei ; et M. Frenssen, comme je l’ai dit, est un ancien pasteur luthérien. Ou plutôt, il se peut fort bien que Peter Moor soit un personnage fictif, n’ayant vécu que dans l’imagination de M. Frenssen ; mais, quoi qu’il en soit de ce point, le dernier livre de l’auteur de Jœrn Uhl nous présente véritablement tous les caractères d’un récit de paysan, transcrit, mis au point, et discrètement commenté par un ex-pasteur, que sa conversion au « modernisme » n’a point tout à fait dépouillé des habitudes intellectuelles de sa profession d’autrefois. Depuis son départ de Wilhelmshaven jusqu’à son retour, le paysan nous rend compte, quasi heure par heure, de tout ce qu’il a vu, entendu, et fait, sans jamais essayer de pratiquer un choix parmi la foule

  1. Peter Moors Fahrt nach Südwest, ein Feldzrugsbericht, par G. Frenssen, un vol. Berlin, librairie Grote, 1907.