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hétéroclite de ses souvenirs, sauf pourtant à insister de préférence sur ceux qui se rapportent à la nourriture et à la boisson ; et à tout instant le pasteur, qui écrit sous sa dictée, entremêle ces souvenirs de petites sentences historiques ou morales. Ainsi, lorsque le bateau qui conduit les troupes allemandes passe en vue de la côte anglaise, le pasteur intervient pour nous rappeler « combien étaient plus petits les bateaux qui, jadis, sur les mêmes mers, ont conduit vers ces mêmes rivages les ancêtres normands de Peter Moor. » Plus loin, le collaborateur du jeune soldat observe que « le monde est bien grand, » ou encore que « la volonté vaut dix fois plus que le savoir. » Mais tous ces aphorismes n’empêchent par le petit livre de M. Fressen d’être bien pauvre de vérité comme de beauté littéraire. A force de vouloir reconstituer fidèlement l’état d’esprit d’un paysan illettré, M. Frenssen ne s’est point aperçu qu’il échouait à nous donner une image vivante des origines, du développement, et des résultats de la campagne dont il a rêvé de se constituer l’historien. Sous l’énumération infinie de menus détails de toute sorte, jamais nous ne découvrons ni l’horreur tragique, ni la grandeur et l’importance historique d’une expédition dont la portée, au surplus, ne pouvait manquer de dépasser l’intelligence médiocre et inexpérimentée de l’honnête Peter Moor. Je sais bien que Balzac, dans une grange de village, a entendu un paysan raconter, avec une éloquence et une poésie merveilleuses, l’épopée militaire de Napoléon : mais je doute que le génie même d’un Balzac eût pu suffire à M. Frenssen pour transformer en une épopée la masse disparate de sensations et de réflexions que lui rapportait, de l’Afrique du Sud, un jeune soldat n’ayant point d’autre souci profond que d’obéir à ses chefs, de rassasier sa faim, et de s’en retourner bientôt dans son village natal.

Si bien qu’il n’est presque point possible de tenir pour un roman cette Campagne de Peter Moor ; et ce n’est point sans peine, non plus, que l’on parvient à deviner la « thèse » que M. Frenssen a entrepris de nous exposer. Le héros du livre se bat vaillamment, dans les rares occasions où il rencontre l’ennemi ; il souffre de la faim, de la soif, de plusieurs maladies ; autour de lui, nombre de ses compagnons meurent du typhus, d’autres sont tués par les indigènes : mais rien de tout cela n’a de quoi nous instruire, et ainsi nous allons, de page en page,