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romans, dès le début, et malgré la nouveauté de leur forme et de leurs sujets, lui aient valu dans son pays une situation analogue à celle qu’occupe aujourd’hui, chez nous, l’auteur de la Maison du péché. Et cependant je crains que son œuvre ne parvienne jamais, elle non plus, à dépasser les frontières de son pays : non seulement parce qu’elle se ressent trop de l’imitation de modèles que nous connaissons, mais parce qu’avec toute son adresse et tout son talent Mme Viebig y laisse toujours trop voir un fâcheux manque de goût, une sorte d’incapacité fatale à traiter l’analyse de la vie intime du cœur avec la discrétion et la mesure que nous sommes accoutumés à y réclamer.

Le dernier roman qu’elle a fait paraître, Absolvo te ![1], est l’histoire d’une Mme Bovary transplantée dans un village de la Pologne prussienne. Sophie Tiralla, fille d’un professeur allemand, merveilleusement belle et toute pleine de vagues aspirations inassouvies, a épousé un vieux fermier polonais qui l’adore humblement, mais qu’elle hait pour sa sottise et sa vulgarité. Au premier chapitre du roman, l’auteur nous la montre obligeant son mari à lui acheter de la mort-aux-rats, avec laquelle elle a résolu de l’empoisonner. Mais une étrange fatalité la condamne à échouer dans toutes ses tentatives pour se défaire de lui. En vain elle lui verse du mauvais café, en vain elle lui fait manger des champignons qu’elle croit vénéneux, en vain elle se livre à un amant à la condition que celui-ci viendra enivrer le vieux Tiralla : le vieux s’obstine à vivre, et sa femme en est d’autant plus désespérée que ses vagues aspirations de jadis ont, maintenant, pris un corps, et se sont concentrées sur un objet vivant ; car elle aime de tout son cœur un beau garçon de ferme, qui, sans doute, l’épouserait si elle avait le bonheur de devenir veuve. Enfin ce bonheur lui est accordé : son mari, ayant deviné qu’elle le détestait et voulait le tuer, s’empoisonne lui-même, avec cette mort-aux-rats qu’elle lui avait destinée.

Tello est, en deux mots, l’intrigue du roman ; et j’ajoute qu’il s’agit bien ici d’une véritable « intrigue, » avec une action centrale où se subordonnent, le plus adroitement du monde, les peintures des lieux et les événemens racontés. Impossible de souhaiter une trame de roman plus différente des « chroniques » d’un Reuter ou d’un Théodore Fontane ; sans compter

  1. Absolvo te ! par Clara Viebig, un vol. Berlin, librairie Egon Fleischel, 1907.