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désolation ! Tous ces pauvres malades, et tous ceux qui tombent ! En vérité, la chose ne vaut point tout ce bon sang perdu ! » Mais maintenant il me semblait entendre un grand chant, qui retentissait au-dessus de toute l’Afrique du Sud et au-dessus du monde entier, et qui me donnait une claire et profonde compréhension des choses.


III

Dieu me garde de vouloir insinuer qu’il aurait mieux valu, pour M. Frenssen, d’échapper à la contagion du « modernisme, » en matière religieuse, et de continuer à ne soutenir d’autre « thèse » que la simple et pure beauté des vertus chrétiennes, comme l’avait fait naguère son premier maître Dickens, et comme il l’avait fait, lui-même, dans ses premiers romans ! Mais certainement il aurait été préférable, pour la fortune littéraire de son œuvre, qu’il eût pu résister à la tentation de revêtir ses romans d’une forme nouvelle : car les traditions séculaires du roman national se sont emparées de son esprit et de son cœur avec tant de force que jamais plus, sans doute, il ne réussira à s’en affranchir. Toujours il restera un « chroniqueur, » quelque effort qu’il fasse pour hausser ou pour élargir sa manière. Observateur excellent des mille petites nuances de la vie quotidienne, il n’a décidément ni la vigueur intellectuelle, ni surtout la souplesse et le tour de main qui lui permettraient de donner à ses récits l’unité, le relief, et tout le reste des qualités que nous exigeons d’un roman. Peut-être, après la déception que leur ont causée son Hilligenlei et son Peter Moor, ses compatriotes obtiendront-ils encore de lui un second Jœrn Uhl ; mais certes ce n’est point à lui qu’il sera réservé de rompre le cercle magique qui, à la façon du mur de flammes évoqué par Wotan autour de Brunhilde, nous interdit l’accès du roman allemand.

A rompre ce cercle magique, personne, je crois bien, parmi les confrères de M. Frenssen, ne travaille avec autant d’ardeur que Mme Clara Viebig. Autant l’auteur de Jœrn Uhl est imprégné des vieux sentimens esthétiques de sa race, autant Mme Viebig nous apparaît nourrie de nos romans français, et passionnément désireuse d’en tirer profit. Avec cela, une habileté pratique incomparable, un talent singulier d’expression pittoresque, et toutes les ressources de l’imagination féminine à la fois la plus hardie et la mieux réglée. Aussi n’est-il pas étonnant que ses