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Empruntons-les-lui nous-même aujourd’hui, mais avec plus de complaisance pour elle ; dans le dessein, non de la condamner, mais tantôt de l’excuser, tantôt de l’absoudre, et, s’il se peut, de la glorifier. Ici, malgré notre admiration, nous ne jurerons point in verba magistri. Aussi bien, le maître n’avait pas coutume d’exiger, fût-ce de ses disciples obscurs, une aveugle soumission. Toutes les libertés lui étaient chères, mais celle de l’esprit entre toutes. Pourvu qu’il excitât à penser, il supportait, il aimait peut-être que ce fût contre lui. C’est ainsi que, sans être selon lui, ces quelques pages pourtant seront un peu siennes. N’ayant pu les soumettre hélas ! à son jugement, qu’il nous soit permis de les dédier à sa mémoire.


L’art, disait-il, avec sévérité, l’art est immoral, ou du moins tend à l’immoralité pour trois raisons, et qui sont de son essence même. « Il y en a une, si je ne me trompe, qui saute aux yeux d’abord, et qui est que toute forme d’art est obligée, pour atteindre à l’esprit, de recourir à l’intermédiaire non seulement des sens, notez-le bien, mais du plaisir des sens. »

Le second germe de corruption que l’art enferme en lui, c’est qu’il imite la nature, laquelle « est immorale, foncièrement immorale, j’oserai dire immorale à ce point, que toute morale n’est en un sens et surtout à son origine, dans son premier principe, qu’une réaction contre les leçons ou les conseils que la nature nous donne. »

Et voici la troisième et dernière cause de cette immoralité qu’on peut regarder comme inhérente au principe même de l’art : « Je veux parler d’une condition qui semble s’imposer à l’artiste et qui consiste, pour assurer son originalité, non pas précisément à se retrancher de la société des autres hommes et à s’enfermer dans sa « tour d’ivoire, » mais à s’excepter cependant du troupeau. » Cette exception, pour peu qu’elle fût réelle, risquerait en effet de faire de l’artiste un personnage, et de l’art un phénomène anti-social, inhumain.

En somme, et pour user de vilains mots, qui disent pourtant ce qu’ils veulent dire, sensualisme, naturalisme, individualisme, tels seraient les trois périls ou les trois vices attachés à la notion, ou plutôt à l’existence de l’art. Rapportons un moment à ces trois idées l’idée même de la musique. Demandons-nous dans quelle mesure la musique peut encourir ce triple reproche et dans laquelle, au contraire, elle y peut échapper.