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La musique, en outre, — la remarque est, croyons-nous, de Hegel, — a ceci de plus immatériel que les autres arts, que la matière même dont elle est faite, au lieu de durer, se dissipe à l’instant. Le son n’a pas un être permanent comme la couleur ou le relief. Il s’évanouit à peine formé, sans laisser de trace. Il ressemble au parfum de l’encens, dont parle Bossuet, « qui s’exhale et qui n’a son effet qu’en se perdant. »

Enfin (suprême réponse au reproche de sensualisme ou d’immoralité) la musique, nous l’avons observé naguère, est le seul art qui puisse subsister encore, dont au moins quelque chose demeure, le sens même auquel elle s’adresse et par lequel elle passe, venant à manquer. Si l’on est empêché de l’entendre, il est possible de lire la musique et d’y prendre alors un plaisir qui n’a plus rien de corporel. Le plus grand des musiciens était sourd et, pour lui vraiment intérieures, les voix, ses voix, ne chantaient qu’en son âme. C’est ici le triomphe, le miracle de l’idéalisme, et je ne sache pas qu’un autre art puisse prétendre à partager avec la musique ce merveilleux privilège, dépouillant le signe sensible qui lui est propre, de ne plus exister que par et pour l’esprit.


II

La musique sans doute existe aussi, comme les autres arts, par la nature, qui l’inspire et qu’elle imite. Mais il y a dans sa façon de l’imiter quelque chose assurément de particulier, de supérieur peut-être.

Au surplus, et d’abord, on ne saurait convaincre la nature, hormis la nature animale, de pratiquer et de conseiller l’immoralité. La nature inanimée est innocente. Elle nous donne même de grands spectacles et de hautes leçons. Elle rend au besoin de sublimes témoignages. Cœli enarrant gloriam Dei. On sait le mot de Beethoven : « J’aime mieux un arbre qu’un homme. » Et M. Faguet, répondant jadis à Brunetière, avait raison contre lui quand il écrivait à peu près ceci : « Les plaines célestes ne sont pas immorales et n’enseignent aucune immoralité. L’ordre immense de l’univers ne donne aucunement le spectacle de l’injustice… La nature végétale n’offre que le spectacle d’un demi-sommeil doux, pacifique et plein de mansuétude. Une forêt n’est immorale que par les bêtes qui s’y entre-tuent. En elle-même, elle est plutôt sereine, majestueuse, douce, et elle verse des pensées de paix avec ses ombres. »