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travaillent à dégager les vaisseaux ensablés. « Qu’on se figure cinq cents nègres nageant autour du navire et chantant cet air ; à la huitième mesure, ils plongent tous à la fois, continuent de suivre mentalement la musique au fond de la mer ; à la douzième mesure, ils poussent le navire ensemble, et à la seizième ils remontent sur l’eau. Ils agissent ainsi tous de concert et aucun de leurs efforts n’est perdu[1]. »

Auxiliaire du travail, la musique n’est pas moins favorable à la religion, cette autre forme encore plus noble de la vie sociale et plus sacrée encore. La musique fut toujours et partout inséparable du culte et de la prière en commun, plus étroitement liée à celle-ci que la peinture, la sculpture et l’architecture même, puisque seule elle s’incorpore en quelque sorte à la parole sainte et ne fait plus qu’un avec elle. Aussi fortement qu’elle unit les hommes ensemble, la musique les unit, ensemble, avec Dieu. Mais c’est à de certaines conditions de simplicité, de pureté, qu’on méconnaît et qu’on enfreint aujourd’hui. Plus d’une fois nous avons essayé de les rappeler, de les définir, et souhaité qu’on les rétablît. Hélas ! une volonté souveraine, ou qui devrait l’être, n’a pas encore, en cette matière, pu se faire obéir, ou seulement écouter. La musique, dans la plupart de nos sanctuaires, continue d’être la voix du monde et non du peuple ou de la foule. Elle est déchue ainsi de la fonction, de la dignité sociale et religieuse qui fit durant des siècles le plus haut élément peut-être de sa moralité.

Sur la nature de la musique et sur sa vertu le christianisme ne s’est pas trompé. Les Pères et les saints ont toujours eu pour la musique une dilection particulière.

Que si vous nous rappelez ici le mot de saint Augustin, cité par nous tout à l’heure, nous le reprendrons nous-même, mais avec d’autres mots qui le suivent de près, avec d’autres aussi, qui de plus loin lui répondent et tous ensemble l’atténuent. Indécis et partagé longtemps, avec violence, ainsi qu’il convenait à son âme et à son génie, saint Augustin a ressenti l’attrait et l’effroi de notre art ; il en a chéri le bienfait et détesté le maléfice. Parmi tant de combats, livrés en son cœur orageux, celui-là ne fut pas le moins tragique et n’est pas, dans les Confessions, le moins éloquemment raconté.

A peine a-t-il remercié le Seigneur d’avoir affranchi son âme de la volupté d’entendre, voici ce qu’ajoute aussitôt le pénitent passionné :

  1. M. Verneuil, l’Art musical au Sénégal et dans l’Afrique centrale ; cité par M. Jules Combarieu, id. ibid.