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« Cependant, lorsque j’écoute vos louanges, chantées par une voix belle, harmonieuse, habile, comme les paroles de votre Écriture forment en quelque sorte l’âme du chant, je me sens encore, quoique moins qu’autrefois, touché de plaisir. La douce mélodie semble demander quelque place dans mon cœur. Elle en réclame même une avantageuse et j’ai de la peine à voir juste laquelle je dois lui donner. »

Il la lui donnait, malgré tout, malgré lui-même, glorieuse. D’autres aveux de sa bouche en témoignent ; non seulement de sa bouche, mais de ses yeux, qu’au jour de son baptême, le chant des hymnes et des cantiques mouillait de pleurs. « Votre vérité, Seigneur, inondait mon âme ; mes larmes coulaient et j’étais bien avec mes larmes. » Si la musique fut parfois sensuelle, immorale, que faut-il davantage pour qu’elle soit pardonnée ?

Mais dans l’histoire du christianisme elle a trouvé d’autres indulgences, que dis-je, reçu d’autres hommages encore.

Saint Thomas d’Aquin a parlé non seulement de la musique d’église, — la vraie, la pure, — mais de la musique en général avec sympathie, avec tendresse. On pourrait aisément dégager de son œuvre les principes d’une éthique musicale. Parmi ces lois, sans doute, autant que de libérales il s’en trouverait de sévères, au moins de prudentes. Saint Thomas cependant ne paraît pas avoir eu de la musique la défiance, presque la crainte, qui trouble encore saint Augustin et lui vient peut-être de trop d’amour. La sensation d’abord, oui, la sensation même, sinon la sensualité, que tout art comporte, à quelle hauteur, à quelle dignité, celui qu’on a pourtant nommé le docteur angélique, ne l’élève ou ne la relève-t-il pas ! Écoutez cette magnifique assurance : « Les raisons des choses qui existent en Dieu sous une forme intellectuelle, sont écrites dans la création sous une forme sensible. » Elles n’y sont pas seulement écrites : elles y parlent, elles y chantent ; leur parole et leur chant ne sont autres que la musique. « La création est la voix du Verbe et toutes les créatures sont comme un chœur de voix qui répètent le même Verbe. » Par cette seconde affirmation, il semble bien qu’après l’élément sensible, l’élément naturel de l’art musical, j’entends l’élément qui lui vient de la création, ou de la nature, soit absous du reproche d’immoralité.

Qui donc la réprouvera, notre musique, alors que de tels juges ne l’ont pas condamnée ? Un saint Thomas l’estime, l’admire, parce qu’elle délasse et parce qu’elle purifie[1]. Il l’aime, il la bénit parce que les

  1. Causâ ludi et purificationis.