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l’idéalisme, qui entraînent l’esprit fatigué aux délires d’une sophistique à outrance où s’énervent les plus puissans ressorts de la plus belle énergie. Ainsi tout périt à la fois, la patrie méconnue de ses enfans, déchirée de leurs mains cruelles, et l’esprit même d’une race prodigieusement douée, désormais sans support, sans cadre de vie. »

Tout cela est pour nous faire entendre que M. Jaurès est un sophiste, un détestable sophiste, et nous en convenons volontiers ; mais M. Clemenceau lui-même ne serait-il pas un rhéteur ? Les rhéteurs ont perdu la Grèce, tout autant que les sophistes. C’étaient des hommes qui parlaient fort bien, et fort longtemps, mais qui agissaient fort mal et le plus souvent à tort et à travers, suivant l’impulsion du moment. De là vient que la Grèce, si elle a réalisé un « miracle » en élevant dans le domaine de l’art, de la philosophie, de l’histoire, des monumens si délicats, si hardis, si brillans, si solides, a donné en politique le plus pitoyable spectacle, a multiplié, accumulé les fautes, et a laissé pour leçon à la postérité le conseil de ne pas l’imiter. Après la rentrée des Chambres, nous assisterons sans doute à de grandes joutes oratoires entre M. Clemenceau et M. Jaurès ; mais qu’en résultera-t-il d’effectif et de pratique dans le monde des réalités ? M. Clemenceau écrasera facilement son adversaire sous le poids de son antipatriotisme, et provoquera contre lui des manifestations parlementaires d’autant plus éclatantes qu’elles seront vraisemblablement unanimes. Et ce sera fort bien. Mais ces manifestations auront-elles ; un lendemain ? Le discours d’Amiens lui-même nous oblige à en douter, car si M. Clemenceau a bien parlé, nous nous demandons ce qu’il a fait conformément à ses paroles, et la vérité nous oblige à répondre : rien ! Il est ministre pourtant, il est président du Conseil. Lorsqu’il était simple orateur ou journaliste d’opposition, il pouvait lui suffire de prononcer des discours pleins de verve ou d’écrire des articles incisifs. Mais aujourd’hui il a le pouvoir dans les mains : qu’en fait-il ? Il devrait agir, il continue de parler.

On ne sait même pas bien clairement, lorsqu’on l’écoute, s’il veut nous émouvoir par des révélations inquiétantes, ou nous rassurer par un optimisme propre à justifier son inaction. « Ne nous donnons pas, dit-il, le ridicule de laisser croire que nous avons pu un seul instant redouter sérieusement les effets d’une propagande criminelle qui ne peut exciter chez tout Français digne de ce nom qu’un sentiment d’horreur. » Alors, nous ne comprenons plus. Si M. Jaurès est inoffensif, à quoi bon contre lui cet étalage d’indignation et de flétrissures ? Au risque d’encourir le ridicule dont il parle, nous avouons