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meilleures familles du pays, parle de ces faits en témoin immédiat : « Les contrebandiers sont favorisés des Savoyards, je veux dire qu’où en fait l’apologie dans de très bonnes maisons. On y vante les actions de Mandrin et on les met au niveau des traits du plus grand héroïsme. J’en ai été plus d’une fois témoin. »

Récit confirmé par l’agent Marsin, espion aux gages du gouvernement français et qui fut intimement mêlé aux contrebandiers. Mandrin est reçu dans les sociétés les plus distinguées sur le pied d’un commensal dont on est fier ; il est fêté par la plus haute noblesse, par M. de Saint-Albin de Vaulserre, président au Parlement de Grenoble. M. de Piolenc, premier président au même Parlement, après l’avoir naguère, le 21 juillet 1753, condamné à être roué vif, lui fait les honneurs de sa table. Le marquis de Ganay en écrit au ministre de la Guerre : « Vous savez que Mandrin a été condamné à être pendu (il s’agit d’une autre condamnation prononcée contre lui en Savoie), il y a quelques années, à Chambéry. Malgré cet arrêt, il y va très souvent, il y couche, il y séjourne. Il y a environ un mois (mars 1755), il y a soupé chez l’un des principaux magistrats de cette ville et il y a été fort caressé, quoique ce juge ait autrefois signé sa sentence de mort. »

Mandrin causait d’une manière brillante, avec entrain et gaîté. Nous laissons à penser s’il avait des anecdotes à raconter. A table, on se taisait pour les entendre ; au salon, les dames se pressaient autour de lui. Et les maîtresses de maison se l’arrachaient, car elles n’avaient pas souvent l’occasion d’offrir à leurs invités un héros tourné comme celui-là.


FRANTZ FUNCK-BRENTANO.