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II. — SITUATION RESPECTIVE DE L’ANGLETERRE ET DE LA RUSSIE EN ASIE CENTRALE AU MOMENT DU TRAITÉ ANGLO-RUSSE

Ainsi, à la veille du traité anglo-russe, la position des deux rivaux pour la prépondérance dans l’Asie centrale était la suivante. Au Thibet, l’Angleterre avait partie gagnée. Elle s’était fait sa part dans le commerce du Thibet et avait exclu de ce commerce toute autre puissance. La Russie avait bien protesté au début des opérations du colonel Younghusband, mais ses protestations étaient restées vaines, et elle n’avait pu insister autrement, engagée qu’elle était dans la lutte terrible qu’elle soutenait contre le Japon. En Afghanistan, l’influence anglaise était prépondérante, exclusive, et cette situation privilégiée était reconnue et acceptée en fait et en droit, à la fois par les souverains afghans et par la Russie. En Perse, au point de vue politique, les deux puissances, liées par l’accord de 1834 et par des déclarations postérieures qui garantissaient l’indépendance de la Perse, étaient sur un pied égal. Mais, au point de vue économique, il n’en était plus de même : l’influence russe dominait dans le Nord, le commerce anglais dans le Sud. L’infiltration russe s’était rendue maîtresse des marchés de Recht, de Tauris, de Téhéran. Les soixante-quinze millions d’affaires qu’a faites Recht en 1906 avec le reste du monde passaient entièrement par les mains des importateurs et des exportateurs russes. Ce sont des Russes qui avaient construit la route entre Enzeli et Téhéran, et toutes les entreprises de transports dans cette région leur appartenaient. Seuls leurs navires avaient le droit de naviguer sur la Caspienne et, en conséquence, le monopole du commerce leur appartenait dans cette région.

D’autre part, l’Angleterre tient de beaucoup la première place dans le mouvement commercial du Sud de la Perse. Pour Bender-Abbas, le principal port du littoral méridional persan, les importations de l’Inde et des ports anglais représentaient, en 1904, 78,6 pour 100 ; en 1905, 72,8 pour 100 ; et en 1906, 56 pour 100 des importations totales, proportion décroissante, il est vrai, mais qui ne pouvait être attribuée qu’à la situation troublée de la Perse et qu’on peut considérer comme passagère. Les exportations persanes, via Bender-Abbas, à destination de l’Inde et de l’Angleterre n’avaient en tout cas pas subi le