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émigrèrent. Parmi eux Perregaux, devenu suspect, gagna la Suisse et se retira à Neuchâtel, où il demeura jusqu’après le 9 thermidor. Pendant ce temps, Laffitte administrait la banque comme il pouvait, au milieu de difficultés continuelles. Une fois rentré en France, Perregaux reprit la direction de sa maison. A l’exemple de tous les hommes d’affaires désireux de voir régner enfin la paix intérieure, tout au moins, et l’ordre, il fut des premiers à prendre parti pour Bonaparte. Aussi devint-il sénateur. Il contribuait, bientôt après, à la création de la Banque de France dont il était dès le début, — en février 1800, — nommé régent.


III

Cette digression nous a paru nécessaire pour donner, en un raccourci rapide, une idée de l’organisation des banques à Paris au moment où Bonaparte commença de saisir le pouvoir. Nous savons à quelles opérations elles se livraient plus particulièrement et quel esprit y régnait. La connaissance de ce milieu permet de suivre et de mieux expliquer la carrière de Laffitte, devenu l’associé de Perregaux. Les banquiers d’alors tenaient donc leur prudence et leur circonspection de leur origine et des événemens difficiles qu’ils avaient traversés : école d’expérience dure, mais profitable. Ils n’étaient pas portés, on le comprend, à entrer en relations financières avec l’Etat. Ils limitaient leurs affaires au crédit commercial. Le Trésor ne pouvait guère compter sur eux. Un jour, Bonaparte, peu de temps après le 18 brumaire, fit inviter les principaux banquiers et commerçans de Paris à se rendre au Luxembourg. Ceux-ci vinrent en assez grand nombre à la réunion dans la matinée du 3 frimaire an VIII. Il s’agissait d’un emprunt de 12 millions. Cette opération, importante à ce moment-là, serait aujourd’hui considérée comme une très mince affaire de trésorerie. Bonaparte ouvrit la séance par une de ces vigoureuses harangues dont il avait le secret pour entraîner ses soldats, et réussit à enthousiasmer ses auditeurs, gens d’ordinaire assez peu faciles à séduire avec des phrases. Tous signèrent. Mais au sortir de la réunion, — dit M. René Stourm, qui nous donne sur ces faits d’intéressans détails, — « les réflexions individuelles tempérèrent l’essor