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autres l’accusaient de tiédeur. Il ne possédait pas l’habileté politique indispensable dans les manœuvres parlementaires et surtout à un moment où il fallait créer adroitement une majorité avec des élémens si disparates. Presque constamment heureux jusque-là dans ses entreprises et dans sa vie, il avait abordé les nouvelles difficultés qui s’offraient à lui avec un trop confiant optimisme, et il pensait pouvoir les résoudre avec le même bonheur. De plus, il ne se sentait pas soutenu par la Cour où on ne lui reconnaissait pas les qualités d’un premier ministre chargé de diriger la politique générale du pays. Cette situation ne pouvait durer. Il comprit assez vite qu’il s’était trompé en désirant et en acceptant une situation dont il n’avait pas aperçu tout d’abord les difficultés. Il attendit une occasion de quitter le pouvoir. Elle ne tarda pas à se manifester. Un incident diplomatique[1]fut pour lui un prétexte à abandonner ses fonctions ; il remit son portefeuille le 13 mars 1831. Il avait donc été président du Conseil des ministres pendant un peu plus de quatre mois.

L’expérience que venait d’acquérir Laffitte pendant ces quelques années de politique active devait lui coûter cher : s’il n’y perdit pas toutes ses illusions, il y perdit sa fortune. Elle avait, d’ailleurs, été déjà sérieusement ébranlée, lorsqu’en 1824, associé d’une compagnie de banquiers dont nous aurons à nous occuper, il participa à la préparation de la conversion proposée par Villèle et qui échoua, on le sait, devant la Chambre des pairs. Les récens événemens n’avaient pas amélioré cette situation. En octobre 1830, Laffitte s’était vu obligé de vendre au Roi la forêt de Breteuil. Il liquida le reste lorsqu’il eut quitté le pouvoir. Sa situation devint telle qu’une souscription nationale[2]fut ouverte à ce moment afin de recueillir l’argent nécessaire pour lui conserver son hôtel situé au numéro 19 de la rue qui porte aujourd’hui son nom, et qui s’appelait d’abord rue d’Artois.

  1. On lui aurait caché une dépêche annonçant l’entrée des Autrichiens dans la Romagne au mépris du principe de la non-intervention qu’il avait proclamé à la tribune.
  2. Le comité provisoire de la souscription comprenait : Odilon Barrot, Mauguin, le général Clauzel, La Fayette, le maréchal Gérard, général Becker, général Exelmans, Cunin-Gridaine, Fulchiron, Barbet de Veaux, Calmon, Gouin, Martell, de Bérenger, Châtelain. Elle s’éleva exactement en capitaux à 416 901 fr. 09 et à 25 892 fr. 80 en intérêts produits par les dépôts faits à la caisse des Dépôts et Consignations, soit au total 442 793 fr. 89. Laffitte toucha le dernier versement le 25 décembre 1835.