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dit aujourd’hui, c’est dans le sens de la prudence. Il ne croit point que l’Etat, parce qu’il est l’Etat, doive être considéré comme une personne morale à part, pouvant accomplir ce qu’un particulier ne saurait faire, ou du moins pouvant se permettre de se livrer à toutes les opérations de finances sans tenir compte des principes qui régissent les affaires des particuliers.


III

Peu d’années après, cependant, nous assistons à une évolution des idées de Laffitte sur le crédit en général, et en particulier, sur celui de l’Etat. Le mouvement provoqué à la Bourse de Paris par les emprunts de la Restauration avait apporté un élément nouveau dans le mouvement des capitaux. L’espoir d’une paix durable, à la suite de longues guerres et de tragiques événemens, donnait au commerce et à l’industrie un gage sérieux de prospérité et provoquait la création d’usines, de manufactures et de maisons de commerce. Une sorte de renaissance économique s’affirmait sous l’impulsion générale des découvertes faites dans les sciences et dans les arts. Avec son imagination vive et son tempérament optimiste, Laffitte vit s’ouvrir devant les affaires de vastes horizons. Dans une brochure sur laquelle nous reviendrons souvent, brochure qu’il publia en 1824 et où il défendait le projet de conversion de Villèle, il écrivait : « C’est qu’il n’existe plus aujourd’hui qu’un moyen de faire fortune, et ce moyen, c’est de la gagner par le travail. En 1789, on la chercha dans la rapide élévation des existences qu’un ordre social nouveau faisait espérer ; depuis 1800, dans l’armée ; aujourd’hui, on la recherche comme alors, mais dans les arts, les sciences et l’industrie[1]. » Il y a, dans ces lignes, comme un vague écho des formules saint-simoniennes où il était dit qu’à la civilisation guerrière et sacerdotale devait succéder la civilisation industrielle. Et celle influence encore presque insensible, mais latente néanmoins, chez Laffitte, se fera sentir plus tard, lorsqu’il abandonnera ses premières idées sur l’amortissement des emprunts d’Etat, pour considérer ceux-ci comme

  1. Réflexions sur la réduction de la rente et l’état du crédit, par Jacques Laffitte, 1824.