Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois déchaînés, les appétits ne fussent pas satisfaits à si juste compte ? On entrait dans l’inconnu. Clément de Ris, à qui nulle attache aux personnes n’imposait le devoir de fidélité envers le régime, si celui-ci était menacé, avait intérêt, sans compromettre le présent, à ménager l’avenir : son âge, son intelligence, son activité, son expérience des affaires lui permettraient d’y faire sa place. Pour cela, il fallait surveiller les événemens, louvoyer, si l’on peut dire, entre les partis, en un mot se réserver. La suppression de sa charge à la Cour, par mesure d’économie, en septembre 1789, l’y servit à souhait. Elle lui rendait sa liberté, et, comme il n’avait personnellement rien tenté pour se dégager, elle ne l’exposait pas dans l’avenir, lui victime, au reproche d’ingratitude.

Tout d’abord, il se tint à l’écart. On voulut le porter à la municipalité de Saint-Germain ; on le sollicita d’accepter un mandat à Paris ; il se déroba, et mit à se faire oublier autant de ténacité qu’il en avait dépensé naguère et devait en dépenser plus tard à ne pas se laisser oublier. Le souvenir des fonctions remplies par lui près de la Reine était trop proche pour ne pas être gênant à l’occasion : il fallait lui donner le temps de s’effacer, et, pour y aider, s’effacer soi-même, quitter Saint-Germain, quitter Paris, se retirer en un pays où l’on ne saurait de sa vie que ce qu’il voudrait bien qu’on en sût. Là, il se créerait des relations, des amitiés nouvelles, ferait peau neuve, et prendrait le vent. Il trouva en Touraine ce qu’il cherchait. C’était, à quatre lieues de Tours, sur les bords du Cher, le domaine de Beauvais[1], ancien fief du château d’Amboise. Depuis 1786, ce domaine, à plusieurs reprises, avait été mis en vente sans rencontrer preneur. Clément de Ris, à la faveur d’enchères progressivement décroissantes[2], en devint acquéreur, en janvier 1791, aux conditions les plus avantageuses, et, peu après, s’y fixa avec les siens (février 1791).

  1. Canton de Montlouis, commune d’Azay-sur-Cher, où l’on voit encore dans le cimetière le tombeau des Clément de Ris.
  2. La mise à prix primitive avait été de 200 000 livres et plus, — indépendamment de charges considérables. — M. Clément de Ris en devint acquéreur pour 127 000 livres, libre de toute charge.