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n’offusque l’azur du ciel. En Turquie, l’industrie moderne n’est pas née ; les articles dont on a besoin, on les achète à l’Europe manufacturière. La plupart des fonctions dont se surcharge l’Etat-Providence de nos pays d’Occident, l’État turc n’en a cure et les abandonne aux étrangers. Il est un minimum de gouvernement. Le budget central de l’Empire ottoman ne dépasse pas 300 millions de francs, dont 100 millions sont absorbés par le service de la dette. Le budget des travaux publics est embryonnaire : ce sont les étrangers qui construisent les chemins de fer, les ports, les quais, les tramways, les hôtels ; eux qui vendent cuirassés, torpilleurs, canons, fusils, tout le matériel nécessaire à une armée ; eux qui exploitent les mines, créent des compagnies de navigation. Ainsi les étrangers se chargent, à condition d’en tirer bénéfice, de doter la Turquie de l’outillage compliqué des nations modernes. Chacun travaille à obtenir le plus d’entreprises avantageuses, le plus de gros bénéfices ; et c’est précisément dans cette course aux affaires que consiste la rivalité des grandes puissances à Constantinople. Les diplomates se font courtiers ; l’empereur Guillaume II ne dédaigne pas d’écrire personnellement au Sultan pour assurer une forte commande à l’industrie allemande. Et le bon derviche qui fume placidement son narghilé, à l’ombre d’un platane séculaire, s’émerveille en son âme du fol acharnement de tous ces infidèles à se disputer ces travaux serviles, vains amusemens de l’Occident. Mais tandis que l’Osmanli poursuit son rêve, l’Européen travaille, s’enrichit, prend des hypothèques sur l’Empire ottoman, met la main peu à peu sur tous ses ressorts vitaux, ses richesses, ses ressources. Toutes ces concessions, c’est le Sultan qui les octroie, lui par conséquent qui reste, en apparence, le maître de l’heure. Mais il n’est guère libre de refuser, car les puissances, qui demandent, pourraient exiger ; elles ont des cuirassés, des soldats qu’elles emploient au besoin à assurer le recouvrement d’une créance, l’octroi d’une commande ; elles contrôlent les finances et tiennent le service de la dette : rien ne se fait que grâce à leurs capitaux et à leurs ingénieurs ; leurs nationaux, en vertu des Capitulations, échappent aux lois turques et ne sont justiciables que de leurs consuls. Les étrangers ont des écoles pour leurs enfans, des collèges, des universités, des prêtres, des médecins, des postes, des télégraphes ; sur eux ni la police ottomane, ni les agens du lise, n’ont aucune prise ; chacun d’eux est une sorte