Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menaces à la paix. Là-bas, à Uskub ou à Monastir, on s’imagine volontiers que l’effort des races chrétiennes vers l’indépendance, la rivalité des nationalités, l’intervention éventuelle des États balkaniques ou des puissances européennes, c’est la politique ; à Constantinople, la politique, c’est les affaires ; les rivalités n’ont pas cessé d’être aussi acharnées, mais c’est avant tout sur le terrain économique qu’elles se manifestent ; aucun des grands problèmes politiques ou religieux qui constituaient la question d’Orient n’a disparu, mais ils se présentent sous les espèces des intérêts financiers et commerciaux, sub specie pecuniæ. De tout temps, les affaires ont été étroitement mêlées, à la politique, jamais peut-être au même degré qu’aujourd’hui elles n’en avaient constitué toute l’armature.

Le gouvernement ottoman lui-même est jugé différemment, selon qu’on le regarde des provinces et du point de vue indigène, ou de la capitale et du point de vue européen. Ses procédés, à la fois faibles et oppressifs, son incurie financière et administrative, c’est, en Macédoine par exemple, ce qui saute d’abord aux yeux ; le Turc y garde toujours, en dépit du temps et de la décrépitude, son attitude de conquérant, aux prises avec les nationalités jadis vaincues, priant Allah dans leurs églises, maintenant les raïas dans une condition inférieure. Les abus s’y étalent avec toutes leurs conséquences : anarchie et violences. Vu de Constantinople, le tableau change d’aspect : la faiblesse et la caducité du gouvernement turc font la fortune de l’Européen qui gère ses affaires, tient en tutelle ses finances, supplée à son inertie ; une Turquie réformée, fortifiée, capable de se suffire à elle-même, ce serait, pour les puissances étrangères, la fin des concessions fructueuses, des affaires grasses. Un tuteur, qui tire de gros bénéfices de la gestion des biens de son pupille, ne souhaite ni sa mort, ni sa majorité, et, s’il est peu scrupuleux, il tâche de le maintenir en bonne santé, mais en enfance. On est tenté parfois, à Constantinople, d’appliquer la comparaison aux Européens. En Macédoine, le gouvernement turc paraissait oppresseur ; ici, on est bien près de le croire opprimé.

Du haut de la tour de Galata ou des fenêtres du Péra-Palace, si l’on embrasse, d’un coup d’œil circulaire, tout l’incomparable décor de Constantinople, seules, au-dessus de la foule pressée des maisons, émergent les coupoles majestueuses, flanquées de minarets blancs et de cyprès noirs : pas une cheminée d’usine