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meilleurs morceaux accaparés, elle jeta son dévolu sur cette Asie turque, endormie depuis tant de siècles dans la léthargie musulmane ; elle se donna pour mission de percer cette masse inerte qui s’interpose entre les routes de la Méditerranée et les péninsules indiennes débordantes de vie, luxuriantes de richesses. La Turquie d’Asie appartenant à une grande puissance, l’expansion allemande n’y pouvait pas prendre la forme d’une conquête ni d’une colonisation, à l’instar de ce que l’Angleterre et la France avaient pratiqué en Afrique ; mais on pouvait transformer en un « territoire économique » allemand ces immenses contrées, jadis si fertiles et si peuplées, aujourd’hui stériles et presque abandonnées. Tel fut le programme dont la réalisation fut poursuivie avec une continuité de vues, avec un esprit de méthode dont aucun autre pays n’a donné à notre époque un exemple aussi admirable. Toutes les énergies de l’Empire, coordonnées par une volonté supérieure, s’unirent dans une offensive vigoureuse pour le succès de l’entreprise.

L’Empereur d’abord s’y employa. Dans un pays gouverné autocratiquement par un Sultan, commandeur des Croyans, mais où vivent aussi divers peuples chrétiens organisés, chez lesquels la religion sert de cadre et de sauvegarde à la nationalité, Guillaume Il comprit que les deux plus puissans leviers d’influence sont l’amitié du souverain et la clientèle des chrétiens. Il s’étudia à gagner l’une et l’autre. On n’a pas oublié les circonstances de son voyage, à l’automne de 1898, à Constantinople, en Palestine et en Syrie[1]. C’est de ce pèlerinage politique, dont l’importance apparaît mieux, à mesure que ses conséquences vont se développant, que l’on doit faire dater le « nouveau cours » de l’expansion germanique ; il marque un moment décisif de l’histoire allemande ; il coïncide avec l’affirmation de la nécessité pour l’Allemagne de devenir une grande puissance maritime. « Le pouvoir impérial implique le pouvoir sur mer ; l’un ne saurait exister sans l’autre, » déclare Guillaume II, dans un toast, le 15 décembre 1897 : accroissement de la marine, Weltpolitik, expansion dans l’Empire ottoman, sont autant de faits connexes, conséquences de l’essor économique de l’Allemagne.

En même temps qu’à Constantinople Guillaume II prodiguait

  1. On nous permettra de renvoyer à notre article : La Politique allemande et le Protectorat des missions catholiques publié dans la Revue du 15 septembre 1898.