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révolution dans l’histoire économique de l’Orient. Les grandes routes internationales, jusqu’ici, contournaient l’Empire ottoman sans y pénétrer : route de terre, par la Russie, vers l’Asie centrale ; route de mer, par Suez, vers l’Inde et la Chine ; quand « le Bagdad » sera achevé, il existera une voie rapide, par terre, vers la Mésopotamie, la Perse, les Indes. Dans ces vallées naturellement riches de l’Euphrate et du Tigre, dans cette Mésopotamie où le vieux sol disparaît sous les ruines amoncelées de tant d’empires, — alluvion des siècles qui recouvre l’alluvion des eaux, — la locomotive apportera la paix, l’ordre et le travail, avec lesquels renaîtra la prospérité ; les années aidant, les populations pulluleront, des cités superbes s’élèveront de nouveau là où furent Ninive et Babylone, Séleucie et Ctésiphon, Bagdad et Mossoul.

M. Paul Imbert a renseigné récemment les lecteurs de la Revue sur le chemin de fer de Bagdad, son tracé, les difficultés auxquelles il se heurte, et les résultats qu’a déjà donnés la ligne d’Anatolie ; nous nous bornerons donc à quelques rapides observations d’ordre général.

On s’est parfois représenté le chemin de fer de Bagdad, prolongeant le réseau anatolien, comme destiné à devenir, entre les mains des Allemands, un instrument de domination politique ; on a décrit, par avance, le flot de l’émigration germanique débordant sur l’Asie Mineure et la Mésopotamie pour y créer une riche colonie que la force des armes, un jour ou l’autre, relierait directement à la mère patrie. Observons cependant que la ligne, même si elle était entièrement construite avec des capitaux allemands, même si les Allemands en avaient seuls la direction et l’administration, ne serait pas encore pour cela une ligne allemande, puisqu’elle serait tout entière en territoire ottoman. Si la Turquie survit longtemps encore comme État indépendant, les chemins de fer qui vont bientôt la sillonner, et dont le Sultan hâte l’achèvement, deviendront pour elle un moyen de centralisation et de mobilisation rapide qui accroîtra singulièrement sa cohésion et sa force : elle n’en sera que plus libre de reprendre sa politique favorite d’équilibre et de contrepoids entre les influences étrangères. On peut croire que l’Allemagne, si elle parvenait à achever une entreprise aussi importante que « le Bagdad, » et à en faire « un chemin de fer allemand, » inspirerait assez d’inquiétudes aux successeurs d’Abdul-Hamid pour