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sensiblement les mêmes ; seulement, les Allemands vendent deux fois plus qu’ils n’achètent, tandis que c’est l’inverse pour nous. Les principaux fournisseurs de la Turquie sont (chiffres de 1905) : la Grande-Bretagne avec plus de 200 millions de francs, colonies non comprises, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne sur le même rang avec 100, l’Italie avec 70, la France avec 50. Or, en 1877-1881, la France venait au second rang, après l’Angleterre, pour l’importation en Turquie et au premier pour l’exportation[1]. Notre commerce n’a pas diminué, mais il est resté stationnaire, et c’est notre part relative qui est en baisse par suite des progrès de nos concurrens.

L’Allemagne ne se contente d’ailleurs pas de chercher à prendre sa part dans le trafic actuel de l’Empire ottoman : développement de ses lignes maritimes, positions prises par son commerce, influence politique à Constantinople, ne sont, dans le jeu de sa politique économique, que des préliminaires ; ce sont, pour ainsi dire, les avenues d’une politique dont l’entreprise du chemin de fer de Bagdad est le centre, le point d’aboutissement.


II

Dans les Echelles du Levant, avant l’entrée en lice de l’Allemagne, les nations maritimes et commerçantes allaient chercher les marchandises descendues de l’intérieur et y vendre les leurs : c’était un commerce, pour ainsi dire, superficiel, un commerce de comptoirs, qui ne se préoccupait ni d’étudier les ressources du pays, ni d’y faire naître des richesses nouvelles. Les méthodes du négoce restaient les mêmes qu’au temps où le Grand Seigneur ne permettait qu’aux vaisseaux portant le pavillon fleurdelisé de trafiquer dans ses ports. Quand les Français et les Anglais commencèrent à construire des chemins de fer, ce furent de courtes lignes de pénétration partant d’un port et aboutissant à un grand marché de l’intérieur. Tout changea quand l’Allemagne entreprit de couper l’Anatolie, en diagonale, par une ligne transversale, et obtint de la prolonger, à travers montagnes et déserts, jusqu’à l’Euphrate, jusqu’à Bagdad et au golfe Persique. La création du réseau anatolien et la concession du chemin de fer de Bagdad constituent une véritable

  1. Cf. Lettre-préface de M. Levasseur à la Turquie économique, par M. Georges Carles (Chevalier et Rivière, 1906, broch.).