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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/378

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Otez l’humour et quelque exagération, il reste un grand fond de vérité. La politique d’intégrité de la Turquie et de souveraineté du Sultan ne s’inspire d’aucune doctrine, mais d’une nécessité d’ordre économique. Les relations amicales avec la Sublime-Porte sont de tradition dans l’histoire française : elles ont toujours été la condition nécessaire à l’exercice d’une protection efficace des chrétiens de l’Empire ottoman ; elles ont, l’histoire le prouve, favorisé dans une juste mesure leur émancipation. Certes une politique sans entrailles, uniquement préoccupée d’affaires et indifférente aux moyens, ne saurait convenir à la France ; mais nous avons le droit aussi de nous souvenir des intérêts colossaux engagés par nous dans l’Empire ottoman, des bénéfices que nous espérons légitimement en retirer et du brillant avenir économique, politique et civilisateur que la France peut, encore aujourd’hui, trouver dans les pays du Levant.

« La France dans le bassin occidental de la Méditerranée ; à d’autres, la Méditerranée orientale, » c’est une formule qui a eu cours chez nous à un certain moment ; il n’en est guère de plus funeste. La politique nationale de la France, ses intérêts vitaux, ses capitaux les plus considérables sont toujours dans ces pays de langue et de civilisation française que l’on réunit sous le nom de Levant. C’est ce qu’avait admirablement compris Gambetta : la « plus grande France, » pour lui, était dans la Méditerranée orientale. Tout nous engage à y développer nos entreprises et notre influence, bien loin de les abandonner. Prenons garde de nous laisser influencer par ces pessimistes qui nous représentent, comme en un diptyque décourageant, un tableau sans ombres des progrès de l’Allemagne et une peinture poussée au noir de notre recul. Si notre position est menacée, ce n’est point une raison pour la déserter, mais pour la défendre avec plus d’énergie. Sans doute le temps n’est plus où, pour naviguer et commercer dans les Échelles du Levant, il fallait arborer le pavillon de l’« empereur de France ; » mais sur le terrain de la libre concurrence économique et politique, nous sommes encore assez forts et assez riches pour batailler et garder notre place.

Nous avons tenu à analyser avec précision les méthodes du peuple allemand dans son essor économique, car elles sont si bien adaptées à leurs fins qu’elles peuvent nous servir d’exemple ; mais leur succès ne doit pas nous faire perdre de vue les