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points faibles d’une si brillante expansion. La tactique d’offensive hardie que les banques allemandes pratiquent dans la lutte économique a ses inconvéniens, surtout lorsque les capitaux sont rares : il suffit de rappeler la crise de 1900 et la déconfiture de la Leipziger Bank. En outre, la conquête des « territoires économiques » est toujours, précaire lorsqu’il s’agit d’une terre étrangère où d’autres influences peuvent se faire jour. Actuellement l’amitié des deux souverains permet à l’Allemagne, en Turquie, des initiatives audacieuses qui, si les circonstances venaient à se modifier, n’auraient peut-être plus le même succès. Enfin, le chemin de fer de Bagdad, créé par les Allemands, profitera à toutes les puissances industrielles et commerçantes ; la résurrection de ces pays de Mésopotamie, dont la richesse a émerveillé l’antiquité, sera un bienfait pour les misérables populations qui y vivent et pour toute l’Europe civilisée. Prenons donc garde de nous laisser hypnotiser par le « péril allemand » que l’on nous représente parfois comme sur le point d’absorber toute l’Asie turque pour en faire une colonie germanique. On a pu remarquer, au cours de cette étude, que si l’Allemagne peut, sur certains points, nuire à nos intérêts, d’autres puissances, l’Italie par exemple, se développent aussi à notre détriment. C’est leur droit assurément ; mais c’est le nôtre d’y pourvoir. L’existence de « surfaces de friction » n’est pas un obstacle à une loyale entente, pourvu que les champs d’action de chacun soient délimités avec précision. C’est ainsi que nous avons pu conclure avec la Russie une alliance durable, quoique nous ayons avec elle, en Orient, certaines divergences de vues et d’intérêts. Et si l’Allemagne attache un grand prix à son expansion économique dans l’Asie turque et au succès de son entreprise de Bagdad, n’est-ce pas une raison de plus, pour elle et pour nous, de chercher dans le Levant, avec une commune bonne volonté, les élémens d’une entente ? La résurrection économique de l’Asie turque est une œuvre immense, qui ne fait que commencer et qui absorbera des capitaux énormes. De pareilles entreprises ne sauraient devenir l’apanage d’un seul, et les ententes sont d’autant plus nécessaires à leur succès que la tâche est plus vaste et que les désaccords seraient plus dangereux. Il y a place pour tout le monde, dans l’Empire ottoman, — même pour les Turcs.


RENE PINON.