intellectuelle, lentement dégagée par sélection de sa masse, la bourgeoisie petite et grande[1](p. 141). » Il ajoute : « Cet impérialisme plébéien, encore dépourvu d’expérience, a d’abord écouté… la prédication d’un prophète, mystique, » qui n’est autre que Rousseau. — Jean-Jacques, explique-t-il, est l’initiateur de l’impérialisme démocratique. Ce rôle lui a été en quelque sorte imposé par ses origines : « Plus encore sur la pensée de Jean-Jacques que sur sa langue, ses lecteurs citadins durent reconnaître l’empreinte persistante de la vie alpestre. Il a généralisé de personnels souvenirs au point de voir enfin l’homme originel semblable à cet aubergiste bienfaisant et délicat qu’il connut à Lausanne, d’imaginer la société souhaitable et véritable toute pareille à une immense confrérie de montagnons (p. 169-170). »
Je crains que M. Seillière ne commette ici une petite erreur qui ne laissera pas d’exercer quelque influence sur la suite de ses raisonnemens. Rousseau ne fut ni un « montagnon, » ni un montagnard, ni un plébéien. Sa famille, comme l’a démontré M. Eugène Ritter[2], si elle n’avait aucune attache avec la noblesse, était de bonne bourgeoisie, ne s’était jamais attardée sur les derniers échelons de la hiérarchie, pouvait prétendre aux charges publiques. Son existence décousue ne fut jamais, à proprement parler, celle d’un plébéien, mais plutôt celle d’un bohème ou d’un aventurier. Par ses goûts, par ses habitudes, par sa manière de comprendre la vie, il fut en vérité un bourgeois, et un bourgeois très bourgeois. C’est donc bien d’un cerveau bourgeois qu’est sorti cet impérialisme plébéien dont nous allons suivre les progrès.
Ce qui donnera la plus grande force expansive aux idées de Rousseau, ce sera sans doute, pour employer l’ingénieuse expression de M. Seillière, son « mysticisme social, » lequel se ramène à son postulat fondamental de la bonté originelle de l’homme. L’homme étant bon, les principales « vertus sociales » découleront de sa bonté, qui se manifestera tantôt dans sa « compassion, » tantôt dans sa « conscience, » toujours dans sa « sensibilité. » A la réflexion, l’on se demandera d’abord comment une telle conception peut conduire à l’impérialisme démocratique,
- ↑ On trouvera ces premières origines du socialisme racontées avec détails et précision dans les premiers chapitres du remarquable ouvrage de M. André Lichtenberger, le Socialisme au XVIIIe siècle (in-8°. Paris, Alcan, 1895).
- ↑ La famille et la jeunesse de J.-J. Rousseau, in-18. Paris, Hachette, 1896.