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peu inquiétans, ou bien ils entremêlent l’étude d’un « cas de conscience » à la peinture des mœurs commerciales d’une petite ville. Et quant à M. Meredith, je ne serais pas surpris que, sans Je vouloir, il eût beaucoup contribué à cette perturbation du langage littéraire que je déplorais tout à l’heure, en accoutumant les jeunes gens à tenir la subtilité pour une condition essentielle de toute profondeur et de toute beauté. D’une manière générale, l’un des traits les plus caractéristiques du roman anglais d’aujourd’hui est un certain manque de naturel, une tendance à craindre la simplicité jusque dans les sujets les plus simples : et il n’est pas impossible que la faute en revienne à ce Mallarmé du roman qu’a été, toute sa vie, M. Meredith.

Heureusement, l’influence de l’illustre vieillard ne s’est point bornée là, tout au moins sur ceux de ses successeurs qui ont pris la peine de pénétrer dans l’intimité de son œuvre. Ceux-là ont appris de lui à créer des situations et des figures assez complexes pour justifier la subtilité des moyens employés à leur expression. Et il y en a un, M. Maurice Hewlett, qui s’est imprégné si à fond de l’art de M. Meredith qu’il est parvenu, pour ainsi dire, à pratiquer cet art d’une façon plus « meredithienne » que son maître lui-même. Son dernier roman, la Dame qui se baisse, est, à ce point de vue, un vrai tour de force[1]. Tous les procédés du vieux mai Ire s’y retrouvent, mais condensés, « sublimés, » savamment appropriés à leur destination, et puis, en même temps, rajeunis et comme mis à notre portée, au point que la lecture de cette Dame qui se baisse pourrait servir d’initiation à l’étude de la Carrière de Beauchamp et de Sandra Belloni. Avec une habileté merveilleuse, M. Hewlett, tout en s’amusant à composer une variation sur des thèmes de M. Meredith, a extrait du talent confus et désordonné de celui-ci toute sorte d’élémens ingénieux, piquans, et de la singularité la plus amusante. Non pas que les quelques bons romans de M. Meredith ne contiennent, par-delà ce que leur a emprunté M. Hewlett, des qualités « inempruntables » de fantaisie psychologique et de fiévreuse passion cérébrale ; mais, d’autre part, combien nous apparaissent plus accessibles, sous l’adaptation de son jeune élève, l’élégance contournée de son style, le scintillement bariolé de ses images, et cette allure perpétuelle de diseur de

  1. The Stooping Lady, par Maurice Hewlett, 1 vol. Londres, Macmillan, 1907.