tirer aujourd’hui que le caractère de Richard III. Voici comment il se pose, au début même de la pièce, dans un monologue où Richard est aussi franc et aussi brutal qu’il sera tout à l’heure doucereux et hypocrite :
- «… Moi qui ne suis pas fait comme les autres hommes,
- « Moi à qui une nature marâtre a refusé un visage,
- « Moi, informe et gauche, jeté avant mon heure
- « Dans ce monde des vivans, n’étant qu’à moitié fait,
- « Et si gauche, si mal tourné
- « Que les chiens aboient après moi, si je m’arrête auprès d’eux[1] !… »
Et, à la scène suivante, Anne Warwick, parmi les injures dont elle l’accable, lui jette cette apostrophe : « Rougis, rougis de toi-même, amas de laideurs immondes[2] ! »
On voit déjà que Shakspeare est décidé à ne rien laisser perdre de ce que lui fournit la chronique ou la tradition. Histoire ou légende, le possible et le surnaturel, il accepte, il recherche, il utilise tout, même certains détails qui se contredisent. Pendant la scène de haine et d’amour entre Anne et Richard, les blessures de Henry VI assassiné se mettent, miraculeusement, à saigner en la présence de l’assassin. Tout ce qui peut servir à faire horreur ou à faire peur entrera dans cette tragédie. Surtout il tient à faire de Richard un monstre, au physique comme au moral. Pourquoi ? Parce qu’il le croit tel, sans doute, mais aussi et surtout parce que cette laideur repoussante rend plus étonnant le triomphe de Richard auprès des femmes et auprès des foules que séduit si aisément la beauté extérieure. Or, le triomphe du héros, c’est le triomphe du poète qui eût créé la difficulté pour la vaincre s’il n’avait cru, de très bonne foi, qu’elle était dans la nature des choses. Remarquez qu’au moment où il prononce les paroles citées plus haut et qui forment l’exposition de la pièce, puisque ce caractère est toute la pièce, Richard n’a que dix-neuf ans.
Il est déjà, complètement et absolument, l’être sinistre et malfaisant qu’il sera à sa dernière heure, quatorze ans plus tard, sur le champ de bataille de Bosworth. Shakspeare, qui nous a montré, dans une si saisissante et si profonde analyse, comment, dans le cerveau de Macbeth, entre, germe, grandit et se