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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/553

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de tous les actes sanguinaires dont il n’est que soupçonné par l’histoire. Aussi attendais-je sir Cléments à ce point de son récit avec une impatience où se mêlait une sorte d’anxiété, ce que j’appellerai l’anxiété des cours d’assises.

Aussi bien ces « enfans d’Edouard, » comme on les appelait, ont exercé un curieux empire sur les imaginations des hommes de ma génération. Cela ne tient pas, je crois, au récit de Shakspeare qui n’a guère fait que transcrire la confession de Tyrrell et n’a pas osé risquer la scène, mais à un tableau de Paul Delaroche, dont le succès fut popularisé et prolongé par la gravure. Ces toiles historiques de Paul Delaroche que la génération actuelle déprécie un peu bêtement pour admirer des croûtes aussi pauvres d’idée qu’inférieures en technique, ont exercé, de 1840 à 1860, une influence comparable à celle des romans de Scott ou de Dumas. Celle qui représentait les enfans d’Edouard fut peut être la plus émouvante. Assis sur un grand lit à baldaquin, le plus jeune dans les bras de l’aîné qui semble vouloir le défendre, les larmes figées par la terreur, ils écoutent un bruit vague d’hommes qui montent un escalier en étouffant le bruit de leurs pas, tandis qu’une lueur rougeâtre de torches pénètre dans un coin de la chambre par une porte entr’ouverte. Un détail puéril donnera une idée de l’effet produit. A la fin du règne de Louis-Philippe et pendant les premières années du second Empire, tous les petits garçons avaient les cheveux coupés « aux enfans d’Edouard. » L’auteur de cet article se souvient parfaitement d’avoir été un de ces petits garçons-là.

Lorsque je visitai, pour la première fois, la Tour de Londres, dans l’hiver de 1870 à 1871, on nous montra[1] « la chambre où les deux petits princes avaient été étranglés. » C’était, si je me souviens bien, une sorte de grenier mansardé, absolument démeublé, un lieu froid et sinistre qui prenait jour vers la Tamise. Depuis bien des années, on n’exhibe plus ce réduit parce que le souvenir qu’on y attachait n’est nullement authentique, mais un fait subsiste : c’est au pied de l’escalier voisin que l’on découvrit, sous le règne de Charles II, deux squelettes d’enfans enterrés

  1. J’accompagnais le prince Impérial. Les autres personnes présentes étaient la princesse de Metternich, la duchesse de Mouchy, l’amiral (alors commandant) Charles Duperré et Louis Conneau. Le prince fit cette visite dans un complet incognito et confondu dans un groupe de quarante ou cinquante curieux. Le vieux yeoman qui nous conduisait ne fit aucune exception en notre faveur.