Pétrarque, Boccace, Villani et tant d’autres qu’il serait inutile de nommer ici. Les œuvres de ces hommes mirent le dialecte toscan tout à fait hors de pair. Une foule d’Italiens voulurent lire ces productions magistrales et se mirent à étudier le langage florentin. Ce mouvement s’étendit de plus en plus, et un jour arriva où le toscan devint la langue littéraire, scientifique et politique de toute l’Italie.
La situation dans ce pays est actuellement la suivante. En dehors de la Toscane, les gens du peuple parlent des dialectes locaux : le milanais, le vénitien, le napolitain, le génois ; mais les gens cultivés, outre leurs dialectes locaux, connaissent et parlent le toscan. Le toscan est pour eux une langue auxiliaire employée sporadiquement dans l’espace et dans le temps. Je vais expliquer ce que je veux dire, et je prie le lecteur de faire bien attention à ce fait, parce qu’il est fort important et s’applique trait pour trait au français par rapport au groupe européen.
Il n’y a pas une seule province en Italie, — : sauf la Toscane bien entendu, — où le toscan littéraire soit parlé par toute la population : par les paysans des campagnes, les artisans des villes, les bourgeois et les grands seigneurs. Le toscan est parlé par quelques individus au milieu d’un grand nombre d’autres qui se servent des dialectes locaux. Usant d’une comparaison géographique, on peut dire que le toscan ne forme pas un continent, mais un archipel. C’est l’explication, au point de vue de l’espace, du mot sporadique dont je me suis servi tout à l’heure. Le toscan, de plus, n’est pas parlé la journée entière par les habitans de la péninsule apennine, mais seulement à de certains momens. À Milan, à Naples, à Venise, les personnes, même de haute volée, emploient encore des dialectes locaux lorsqu’elles sont en famille. Tel était le cas pour le fondateur de l’unité italienne, le roi Victor-Emmanuel II. Mais aussitôt qu’ils entrent dans la vie publique ou qu’ils se trouvent en présence de compatriotes des autres régions, les Milanais, les Napolitains et les Vénitiens parlent le toscan littéraire. C’est l’explication du mot sporadique au point de vue du temps.
Ce qui est vrai de l’Italie l’est aussi de l’Allemagne, de l’Angleterre et même de la France. Le français tel qu’il s’écrit dans les livres et se pratique à l’Académie n’est parlé par les masses populaires dans aucune partie de la France. Sans prendre en considération le flamand, le celte et le basque, — qui sont des idiomes