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en même temps, dans une capitale ouverte à toutes les idées généreuses, soutenir mieux encore qu’à Cracovie la cause de la Pologne à laquelle il avait voué toute son intelligence et tous ses efforts. En 1861, il édita la très attachante correspondance du grand poète Adam Mickiewicz. Sa connaissance profonde des littératures polonaise et italienne, son goût pour les études diplomatiques lui facilitèrent l’accès de la Revue des Deux Mondes. Il dirigeait alors les Nouvelles polonaises, revue hebdomadaire qu’il abandonna plus tard pour les Annales polonaises.

Je l’ai connu en 1867, au début de ma carrière aux Archives du Palais-Bourbon. Il était devenu, grâce au président Schneider, depuis le mois de juillet 1866, sous-bibliothécaire au Corps législatif sous la direction de M. Miller, membre de l’Institut. Il aurait dû avoir une situation plus en rapport avec ses facultés spéciales aux Affaires étrangères, où un ministre intelligent aurait pu utiliser son savoir et sa perspicacité, mais il n’aimait pas solliciter et il se contentait de peu[1]. D’ailleurs, au milieu des livres, ses amis, il pouvait travailler à son aise. Klaczko avait alors trente-neuf ans. C’était un homme de petite taille, ayant l’air modeste d’un chercheur et d’un savant. La tête était expressive et forte. La bouche puissante se voilait sous une épaisse moustache. La chevelure, un peu broussailleuse, était blonde. Les yeux, d’un gris bleu sous un front large et bombé, dardaient sur vous un regard pénétrant. Sa conversation était originale et mordante. Sa parole coulait rapide, abondante, spirituelle, émouvante parfois. Je me rappelle qu’un jour, parlant de sa chère Pologne, de ses épreuves cruelles et de ses espérances encouragées, mais presque aussitôt déçues, il nous disait : « Mon pays ressemble à ce pauvre oiseau, dont parle un de nos poètes. Tour à tour relâché, puis ressaisi et cruellement torturé, il jette aux enfans qui s’amusent de ses souffrances ce cri plaintif : Enfans, vous jouez, et moi il s’agit de ma vie ! » Ardemment Polonais et sincère ami de la France, il avait des vues neuves et profondes et les développait, avec un accent saisissant, en

  1. Un peu avant que Klaczko ne fût sollicité par M. de Beust, ministre des Affaires étrangères d’Autriche-Hongrie, de venir le seconder à Vienne dans sa lourde tâche, M. Léon Lefébure et plusieurs de ses collègues du Corps législatif avaient spontanément prié le comte Daru, notre ministre des Affaires étrangères, d’appeler auprès de lui le sagace auteur des Études diplomatiques ; mais le comte Daru donna pour motif de son refus la qualité d’étranger de Klaczko, comme s’il eût été difficile de lui accorder des lettres de grande naturalisation.