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trêve jusqu’au lever du soleil. Je n’en dormis pas moins bien sur ma paille, indifférent aux mauvais bruits qui courent d’usage sur Aïnar, le Dieu qui chevauche de nuit pour protéger les cultures, et sur les voleurs qui attaquent les charrettes à bœufs.

A six heures, je me réveillai à Genji, sinon dans l’enceinte même, du moins à l’entrée du pays. Je reconnus la petite pagode en ruines, qui domine la rivière, et où j’avais passé le mois de décembre 1880…


Genji, 30 août 1901.

La petite pagode du bord de la rivière ne m’a pas arrêté, non plus que le bengalow des voyageurs où je descendis jadis et où une main inconnue vola le turban de mon domestique Rattinam tandis qu’il s’occupait de préparer mon maigre repas. Rattiman est mort pion de police à Pondichéry. Jamais il n’exista de poltron plus déterminé dans toute l’Inde dravidienne qui tient pourtant de cet article un inépuisable assortiment. Le souvenir de Rattinam et de ses mésaventures n’aurait pas suffi à m’éloigner du bengalow, fraîchement réparé et muni par l’administration d’une esplanade carrée, plantée d’arbres, balayée et entretenue avec soin. Si j’ai renoncé à mon premier projet d’y camper, c’est que cette maison commune est à une trop grande distance des ruines. Trois kilomètres, sinon quatre ou cinq, à parcourir matin et soir, à quatre reprises, et quotidiennement, cela est aujourd’hui une besogne au-dessus de mes forces, quand ce trajet s’ajoute aux pérégrinations, aux ascensions dans un ensemble de fortifications qui mesure près de 12 kilomètres carrés et dont les cimes s’élèvent jusqu’à 400 mètres au-dessus des glacis.

Et voilà pourquoi j’ai établi mon quartier dans l’enceinte même de Genji, après d’infructueux essais d’installation en un de ces beaux tombeaux musulmans qui voisinent avec une mosquée près de la porte de l’Est. Les hommes de l’Islam qui m’accompagnent redoutent certainement les Efrits et autres démons de la nuit. Aussi me persuadent-ils que les Maures de Genji me chercheraient noise et me rendraient le séjour impossible. Comme je ne suis pas venu ici pour batailler avec les descendans des Mogols, je me rendis à ces raisons sans discussion. Et je laissai en paix les tombeaux de la première enceinte en