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Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/657

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un temps devant la brèche béante. Un audacieux tente le coup, franchit l’espace d’un bond, et les autres, rassurés, s’élancent en s’encourageant par des gloussemens pressés. Les mères singes ne lâchent pas le petit cramponné à leurs épaules et qui hurle sur le mode aigu. Les vieillards, à la voix de basse, ne vont qu’avec circonspection et mesure. Les jeunes gens défient les obstacles et rivalisent de gambades. Leurs querelles sont fréquentes. J’ai vu un macaque brun tomber à l’eau et regagner le bord en se secouant comme un barbet. Souvent ils se rapprochent assez pour que je voie luire leurs yeux de topaze et grimacer leur face couleur d’encre encadrée d’une auréole aussi claire et fournie que le duvet d’un cygne. Si j’avais mon fusil près de moi, je n’en verrais pas un seul, tant les singes, quand ils connaissent l’homme et ses engins meurtriers, deviennent méfians et subtils.

Plus j’avance dans la vie, moins j’aime la chasse, divertissement médiocre quand il n’est pas le plus plat des assassinats. Tirer froidement sur ces êtres qui entrent en confiance avec vous serait, à Genji, une besogne misérable et que le souci de se nourrir pourrait seul excuser. Ce souci n’existe pas. Grâce au manikarin de Krichnapouram, qui m’a honoré d’une visite officielle sous mon portique, je suis fourni de poules étiques et d’autres denrées au seul dommage de ma bourse. Quoique, au dire de certains amateurs, les semnopithèques du Radjah-Ghiri soient un régal de premier choix, je ne goûterai pas de ce rôti. Jamais je n’ai pris plaisir à abattre des singes. S’il s’agit d’un exercice de tir on peut trouver mieux, et sans aller aussi loin.

Si, d’ailleurs, le devoir professionnel du naturaliste voyageur vous commande de rapporter la bête rare, utile au Muséum et qui manque dans ses séries, on doit tirer les singes, mais à bon escient. Je mets en fait qu’il est de toute injustice de confondre innocens et coupables. Dans le doute, mieux vaut s’abstenir. Et encore, les indigènes sauront toujours mieux que nous tirer à l’affût la bonne espèce. Enfin je crains fort que la collection du Muséum ne s’augmente pas beaucoup en primates dravidiens, dans ce voyage. La poudre ne parlera que peu dans les enceintes sacrées de Genji.

Aussi bien ne renoncerai-je pas, de gaîté de cœur, à ce spectacle unique que m’offrent, au lever du soleil, les familles des ouanderous, des guenons et des macaques, — je ne vous en