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donnerai pas les noms scientifiques à la légère, — sortant des rochers boisés de la grande enceinte, en ce lieu où les immenses gradins de vingt-cinq marches encadrent deux côtés du Tchokra Koulam et baignent leur pied dans ses eaux. J’en ai vu quelquefois deux cents installés sur les degrés de gneis poli, pareils à des spectateurs minuscules perdus dans l’immensité d’une arène déserte. Ces singes couleur de cendre représentent aujourd’hui la foule des dévots qui se pressait, aux jours de grande fête, autour du maître étang de Genji et descendait se baigner dans l’eau lustrale, tandis que les brahmes transportaient, sur un radeau, l’idole de Ranganayagar jusqu’au pagotin central dressé au milieu de la vasque. On dit que, sur la berge, du côté de la route, à cette place où subsistent des kiosques djaïnas et mauresques, se brûla la veuve du héros de la ballade rhadjpoute. Un même bûcher réunit les cendres des époux. Si l’on s’en rapporte au nom même, je croirais plutôt que ce sacrifice volontaire se consomma près de l’autre étang, le Sutty Koulam, où l’on voit le petit mandapam en ruines sous lequel on incinéra Desing Radjah. Le mot Sutty désigne encore aujourd’hui la femme qui se livre aux flammes après la mort de son mari. Je vous conterai, dans ma prochaine lettre, la poétique ballade du radjah de Genji, Desing.

Mais ce que je ne veux pas remettre, c’est le résultat de mes recherches au bord de ces étangs. Au milieu de l’universelle sécheresse, la vie s’est réfugiée autour d’eux. Les plantes n’y sont point flétries, et, sur le sol, courent des insectes affairés, tels que ce Gralidia Beroe, petit phasme vert, en tout pareil à un brin d’herbe doué de mouvement. Sur les graminées basses grimpe une mante grise, chasseresse infatigable, tenant dans l’étau de ses pattes ravisseuses la mouche ou la larve frétillante qu’elle dévorera à loisir dès qu’une retraite sûre s’offrira. C’est le Parathespis Humbertiana. Son corps élancé, ses membres grêles lui donnent quelque ressemblance avec un phasme de médiocres dimensions. Pour être long de douze centimètres, le Gongylus gongyloides, autre représentant des mantes, attire encore mieux l’attention, il la retient par les expansions de ses jambes élargies et aplaties, sortes de manchettes monstrueuses. Cette mante, classique pour les naturalistes, est un bon exemple de la faculté protectrice par imitation. Elle se confond avec les feuilles des buissons dont ses