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l’aspect d’un oiseau ou d’un cheval manqué pour revêtir celui d’un parfait bousier. Le bousier, il est vrai, n’est pas laid dans la nature, mais c’est que la nature le peint des plus riches couleurs. Toutes les fois qu’un de ses produits est informe ou d’une forme épaisse et disgracieuse, elle l’éclaboussé de teintes éclatantes et merveilleusement fondues. Les carapaces ne sont pour elle que des couvercles ou des boîtiers à décorer et à polir. La machine moderne, réduite à ses surfaces et à ses membres nécessaires, pourrait aussi servir de support à des œuvres d’art, mais n’est pas une œuvre d’art elle-même. On peut peindre le capot de l’automobile, ou l’incruster de métaux splendides, mais ce ne sera plus la machine qui sera belle : ce sera ce qu’on peindra dessus. Ainsi de tous les engins et les outils. Le projecteur n’est pas beau, mais il permet une chose de beauté qui est le rayon. L’objectif n’est pas beau, mais il permet une chose de beauté qui est l’épreuve. L’automobile n’est pas beau, mais il permet une chose de beauté qui est le voyage. Il s’accommoderait, aussi, sans doute, de l’ornement purement fantaisiste qu’on lui ajouterait.

Une opinion fort à la mode chez les esthéticiens modernes est que, pour atteindre le beau, l’artiste décorateur doit suivre l’indication donnée par la structure même de l’engin. Il n’y a qu’un malheur : c’est qu’arrivé à son point actuel de perfection, l’engin n’en donne plus. Sur un châssis quelconque d’automobile, vous pouvez mettre les formes du véhicule qu’il vous plaira. Pour recouvrir son moteur, vous pouvez infléchir à votre guise les lignes de votre « capot. » La partie intangible et nécessaire de l’organisme est réduite à fort peu de chose : son aspect visible peut être réduit à rien. Il est vain d’attendre de l’ingénieur des exigences ou des thèmes qui guident l’artiste. L’ingénieur se dérobe à cette tâche. Sa vanité est de ne rien nous imposer. Son triomphe est de disparaître. A l’artiste il laisse toute liberté pour déployer ses fantaisies décoratives et si cet artiste était un Caffieri ou un Boulle, il profiterait avec joie de la liberté qui lui est laissée. Ce serait pour notre joie aussi à nous. Les décorateurs de notre temps sont-ils tout à fait incapables de ces fantaisies heureuses ? Il vaut mieux sans doute qu’ils s’abstiennent et laissent les destinées esthétiques de l’hippogriffe moderne entre les mains prudentes des carrossiers. Mais c’est une pitoyable défaite que de demander à la Science