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une indication de formes qu’elle se flatte justement de ne plus nous fournir. Elle fait merveilleusement son œuvre : à l’Art de faire la sienne.

Elle fait de la vie moderne une féerie où disparaissent comme par enchantement les objets sur lesquels on comptait le plus pour servir de prétexte, d’excuse ou de fondement aux arts esclaves, aux arts dits « appliqués. » Car la première condition d’existence pour un art appliqué est d’avoir quelque chose à quoi il s’applique. Or pendant que nos décorateurs cherchent laborieusement comment imaginer une décoration « logique » à la cheminée moderne, le chauffage à l’air chaud supprime la cheminée. Pendant qu’ils s’évertuent à dessiner la forme « logique » de lustre qui convient à nos salons, l’électricité nous dispense du lustre. Ce qui serait logique serait de ne pas décorer ce qui n’existe pas. Il est inutile, dorénavant, que l’architecte militaire invente de belles lignes de fortifications, car d’un coup de baguette la Science a fait rentrer les forts sous terre. Par la même occasion elle y fuit rouler des véhicules qu’on voyait autrefois en plein jour et plonge sous l’eau les plus redoutables bateaux de guerre. Tout son effort paraît être de cacher ses moyens pour ne plus montrer que ses résultats. Son idéal semble être l’invisible, qui est, par définition, sinon laid, du moins « inesthétique. » Elle peut dire avec plus de vérité que l’empereur Frédéric Barberousse :


Mes pas sont dans tous les chemins…


mais son visage n’est nulle part. Elle se dérobe de plus en plus à l’éducation de notre œil et au décor de notre vie. De plus en plus, elle offre à l’art pur, à l’imagination humaine le talisman et le moyen de se libérer de toute contrainte et de se livrer à toutes leurs fantaisies. Si elle ne leur dicte plus aucun thème, elle leur permet toutes les improvisations : il faut seulement que l’art les réalise. La machine peut souvent être un moyen, — elle ne sera plus jamais un objet, — de beauté.


ROBERT DE LA SIZERANNE.