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parce que les agens du mal ont commencé par être trop nombreux !

D’un autre côté, c’est l’alcoolisme, avec le cortège des intempérances de diverse nature qu’il traîne avec lui. Certes, dans les pages qui précèdent, il lui a été fait une large place, et il ne faut point hésiter à reconnaître que l’accroissement de la criminalité date surtout de 1880, et que 1880 est l’année qui a inauguré la liberté des cabarets[1].

Il faut toutefois être complet et ne pas croire qu’on a tout dit quand on a parlé de la consommation alcoolique. Thiers disait que l’alcool était la bête de somme du budget. Il ne faut pas qu’il soit à l’excès la bête de somme du criminaliste. Tout au moins faut-il examiner d’où vient à son tour cette extension et cette aggravation de la vie et des habitudes malsaines du cabaret. S’agit-il donc ici d’un phénomène imprévu, spontané, ayant dérouté tous les calculs et désarmé les vertus ? Ce cas existe. On découvre dans les arrondissemens les plus moraux de la Belgique des mines de houille abondantes : elles vont attirer de tous les côtés des travailleurs exotiques et créer des rassemblemens artificiels d’émigrés : il ne peut sortir de là qu’un grand péril pour la moralité de la région. Ailleurs, la découverte de mines d’or attire, avec une force plus dissolvante encore, des variétés indéfinies d’aventuriers. Mais les flots d’alcool qui empoisonnent notre race ont-ils par hasard jailli d’une source gratuite ? Les lois qui ont encouragé tant d’habitudes, les habitudes qui ont entraîné tant de conséquences mortelles, n’étaient-elles pas les symptômes d’un certain état social ? Dans la complexité de cet état, serait-il téméraire de signaler bien des formes intéressées de la flatterie et par conséquent de la corruption ? Après avoir provoqué l’extension abusive de cette industrie et de ce commerce, n’a-t-on pas été entraîné à en tolérer toutes les fraudes ? Et le tout réuni ne vient-il pas d’une tendance à mettre l’action publique et les lois au service d’une politique de parti ?

Le mal aurait pu être enrayé par d’autres freins. Mais qui niera que le frein par excellence, celui de la famille, ait faibli ?

  1. Le nombre des débits de boissons s’est élevé de 461 967 en 1903, à 468 967 en 1905, soit une augmentation de 7000. — Est-il nécessaire de reproduire encore d’autres chiffres qu’on retrouve partout ? La consommation des spiritueux, qui était de 365 182 hectolitres en 1830, est arrivé à 2 millions en 1904. En vingt ans, de 1884 à 1904, la consommation spéciale de l’absinthe a passé de 49 534 hectolitres à 201 027.