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visible de la Providence, et à rétablir leurs affaires privées aux dépens des finances publiques.

Le duc et la duchesse d’Orléans vivaient trop près du trône pour ne pas se trouver souvent sous la pluie d’or. Il est constant que les cadeaux d’argent à Monsieur furent répétés et considérables ; quand ce prince boudait, parce que son grand frère l’avait fâché, celui-ci savait le consoler avec des espèces sonnantes qui servaient aux embellissemens de Saint-Cloud. Madame assurait ne pas avoir eu part au gâteau du vivant de Monsieur, qui tirait tout à soi ; mais c’étaient des façons de parler, car elle avait aussi ses aubaines. Nous l’avons vue recevoir 30 000 pistoles de Louis XIV en cadeau de noces. Elle dit dans une lettre de 1675 : « Nous jouons toute la journée à un jeu qu’on appelle le hoca… et, comme ma bourse n’était pas trop bien garnie, Sa Majesté le Roi m’a donné 2 000 pisloles. Je suis si malheureuse au jeu, qu’en quatorze jours, j’en ai déjà perdu 1 700[1]. » Elle mentionne ailleurs un autre don de 1 000 pistoles. Le jeu de la famille royale était une sorte de dépense d’Etat, dans laquelle le Roi se faisait un devoir d’entrer, et ce n’était que justice, puisque c’était une corvée à laquelle on n’osait pas se soustraire, à moins d’être la princesse Liselotte, qui osait tout. Les princes et princesses servaient à entraîner les courtisans à jouer gros jeu, apparemment pour que ces désœuvrés, aux journées si vides, eussent au moins une occupation capable de les passionner. Ils oubliaient tout, en effet, à la table de hoca, ou de lansquenet, témoin de tant de ruines pendant un demi-siècle : « On joue ici des sommes effrayantes, écrivait Madame[2], et les joueurs sont comme des insensés ; l’un hurle, l’autre frappe si fort la table du poing que toute la salle en retentit ; le troisième blasphème d’une façon qui fait dresser les cheveux sur la tête ; tous paraissent hors d’eux-mêmes et sont effrayans à voir. » Elle-même ne tarda pas à fuir le jeu dans la mesure du possible.

Les étrennes étaient une autre de ses aubaines[3]. Le matin du 1er janvier, le « trésor royal » apportait à son maître des

  1. Du 22 août, à la duchesse Sophie.
  2. Du 14 mai 1695, à la Raugrave Louise, traduction Brunet.
  3. Madame dit quelque part, sans autre explication, ne pas avoir eu d’étrennes du Roi dans les cinq ou six premières années de son mariage. Sans doute, la distribution n’était pas alors générale, comme elle le devint plus tard.